La fortune des Rougon – Emile Zola

Retour impromptu aux classiques pour moi sous l’impulsion bienheureuse de Moka et Fanny qui proposent que l’on se relise un classique par mois, suivant un mode opératoire suffisamment large pour être jouable.

Retour à Zola donc, pas lu depuis le lycée, avec ce premier volume des Rougon-Macquart, histoire de remettre un peu la généalogie familiale à plat. Un roman où l’on découvre l’acharnement envieux de Pierre Rougon voulant à tout prix s’extraire de sa condition paysanne, se débarrassant de sa fratrie d’un revers de manche, et puis ce benêt de frangin Antoine Macquart qui n’apprécie pas tellement que le Pierre en question l’ait dupé à plusieurs reprises, avec une soif de vengeance et de noblesse qui ne dit pas son nom, si seulement elle était servie avec un peu plus d’ardeur et de courage, pourrait peut-être porter ses fruits. Bref, pas un pour attraper l’autre. Le socle des Rougon-Macquart donc, accompagnés d’une galerie de personnages campés de façon absolue, empathique et critique. Mention spéciale pour l’attachant duo Silvère et Miette, épris de liberté, ou encore la savoureuse Félicie Rougon, particulièrement gratinée.

« Lorsque, à dix-sept ans, Pierre apprit et put comprendre les désordres d’Adélaïde et la singulière situation d’Antoine et d’Ursule, il ne parut ni triste ni indigné, mais simplement très préoccupé du parti que ses intérêts lui conseillaient de prendre. Des trois enfants, lui seul avait suivi l’école avec une certaine assiduité. Un paysan qui commence à sentir la nécessité de l’instruction, devient le plus souvent un calculateur féroce. Ce fut à l’école que ses camarades, par leurs huées et la façon insultante dont ils traitaient son frère, lui donnèrent les premiers soupçons. Plus tard, il s’expliqua bien des regards, bien des paroles. Il vit enfin clairement la maison au pillage. Dès lors, Antoine et Ursule furent pour lui des parasites éhontés, des bouches qui dévoraient son bien. Quant à sa mère, il la regarda du même oeil que le faubourg, comme une femme bonne à enfermer, qui finirait par manger son argent, s’il n’y mettait ordre. Ce qui acheva de le navrer, ce furent les vols du maraîcher. L’enfant tapageur se transforma, du jour au lendemain, en un garçon économe et égoïste, mûri hâtivement dans le sens de ses instincts par l’étrange vie de gaspillage qu’il ne pouvait voir maintenant autour de lui sans en avoir le coeur crevé. C’était à lui ces légumes sur la vente desquels le maraîcher prélevait les plus gros bénéfices ; c’était à lui ce vin bu, ce pain mangé par les bâtards de sa mère. Toute la maison, toute la fortune était à lui. Dans sa logique de paysan, lui seul, fils légitime, devait hériter. Et comme les biens périclitaient, comme tout le monde mordait avidement à sa fortune future, il chercha le moyen de jeter ces gens à la porte, mère, frère, soeur, domestiques, et d’hériter immédiatement. »

Emile Zola brosse la période charnière du coup d’Etat de 1851 de Napoléon Bonaparte et de ses répercussions dans les zones rurales, avec ici la prise du pouvoir à Plassans (commune fictive de la saga s’inspirant à la fois d’Aix-en-Provence et de Lorgues, dans le Var), dans le contexte du balbutiant Second Empire. Condition sociale et humaine, moeurs, appât du gain, misère, mesquinerie, ivrognerie, retournage de veste, mais aussi revendications, ambitions tâtonnantes et amours contrariées, font le jus de ce roman fabuleusement naturaliste. Une lecture certes très descriptive et méticuleusement précise (Zola…) mais absolument très fluide (Zola…), dont je me suis particulièrement délectée. Un écrivain, monument de la littérature française, qu’il m’a bien plu de retrouver sous cet angle.

« Vois-tu, petite, le grand art en politique consiste à avoir deux bons yeux, quand les autres sont aveugles. Tu as toutes les belles cartes dans ton jeu. »

La fortune des Rougon
Emile Zola
Livre de poche
publication originale 1871
475 pages

Vous pouvez aussi le télécharger librement (domaine public)

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Prochain rdv fin mai avec un classique anglais ou américain.
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9 commentaires sur “La fortune des Rougon – Emile Zola”

  1. Bon, pour commencer, tu peux poursuivre tes chroniques post-apéritif. C’est vraiment pertinent. ^^
    (Doublement recommandé pour celle que tu pourrais faire sur l’Assommoir.)

    Mon premier Zola ne remonte qu’à ma 3e année de fac et c’était avec ce titre que tu chroniques justement.
    Depuis, Zola et moi vivons une grande passion (qui avait tout de même pris du plomb dans l’aile puisque je ne l’avais pas relu depuis 2012 ou 13) et il m’a souvent accompagnée en voyage (Brésil, Autriche…) Mais qu’il se rassure, lui et moi nous repartons sur de meilleures bases en ces temps confinés.

    Je me répète mais ravie de te compter parmi nous. Les thèmes sont mis à jour jusque janvier 2021 (On voit loin. C’est beau cet optimisme.)

    Rendez-vous en mai pour s’évader un peu? (Je tente les deux destinations.)

    1. Merci Moka 🙂 je suis ravie de ce nouveau rdv, encore merci pour l’initiative, et j’en serai bien sûr le mois prochain, reste à savoir avec quel titre. Quand à Zola, bien envie de me faire une petite cure, et je l’imagine fort bien m’accompagner en voyage !

  2. AH si j’avais eu le premier sous la main, j’aurais commencé ma découverte de Zola dans l’ordre 😀

    J’avais peur de lire Zola mais comme tu dis, tout cela est fluide et passionnant!

    Ravie de te compter parmi nous et je te dis au mois prochain 🙂

    1. Quand j’ai vu passer l’invitation, comme je n’avais rien sous la main, je suis allée piocher dans les livres numériques, et comme ça faisait un moment que je voulais lire le début donc c’était la parfaite occasion 🙂
      Les grands noms de la littérature filent souvent un peu la frousse, et finalement quand on s’y lance…
      J’ai pas mal de lacunes en grands classiques, que j’essaie de rattraper au fil du temps quand l’envie m’en prend et ce challenge tombe à point nommé 🙂

  3.  » Une lecture certes très descriptive et méticuleusement précise (Zola…) mais absolument très fluide (Zola…) ». J’adore !!
    Si j’en crois Moka tu as écrit cette chronique sous des conditions qui ma foi te réussissent très bien, j’ai beaucoup aimé te lire.
    Prochaine destination : La curée ? 😉

  4. Zola..mon chouchou absolu en classique dès la 1ère lecture en classe de 3ème…c’était il y a déjà……pffffff. Tout est tellement méticuleusement décrit que j’ai l’impression de voir des tableaux vivants sous yeux. Assez épatant ! Bonne poursuite des classiques Alice.

  5. Coucou ! En te lisant les souvenirs remontent ! Félicie Rougon me fait penser à Mme Josserand dans Pot-Bouille (pas encore chroniqué) : une femme ambitieuse, prête à tout pour devenir une « femme du monde ». J’aime beaucoup ce genre de portrait, finalement assez féministe quand on y pense, car pour les femmes bourgeoises, à cette époque, seul le mariage permet de s’en sortir !

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