Les contes du whisky – Jean Ray (Espace Nord)

Ambiance troquets, marins, vieilles histoires, surnaturel effrayant et brumeux avec ce recueil de contes embrumés de l’écrivain belge Jean Ray (1887-1964).

« Un jour il paria qu’il rongerait le bois d’un tonnelet de whisky jusqu’à ce que la liqueur en sortit. Il se cassa cinq dents, mais le whisky coula. Il se mit alors à vider le tonnelet, mais il mourut du delirium avant la dernière goutte. » (Le nom du bateau)

L’entrée en matière choisie pour plonger dans ce recueil est audacieuse, car l’on ressent très vite l’impression d’avoir autant picolé que les protagonistes du récit. Par la suite, ça devient bon, on navigue parfois à vue mais l’on se laisse porter et l’on s’amuse même, au même titre que l’écrivain, des constructions alambiquées de certains textes. Car Jean Ray était un as en la matière, jouant avec les ellipses, les hypothèses, le surnaturel. Et ça fonctionne parfaitement. Ruelles londoniennes, abords des docks, noirceur chimérique, l’atmosphère est bien sentie, pesante, oppressante, progressive. On entend les verres claquer, on ressent la brume et l’effroi qui grimpe dans le dos des personnages. Nous baignons dans les croyances populaires, les légendes urbaines, les hallucinations, sans jamais les nommer, comme dans toute bonne histoire extraordinaire, aussi fantaisiste soit-elle, jamais l’on ne démordra de sa véracité.

« Un chasseur ne se risque jamais le long de la grande fondrière de Fenn, ai-je dit. Pourquoi ? – Faut croire qu’il y a du vilain – du reste si M. le Coroner veut se donner la peine de faire des recherches il verra qu’il y a déjà eu des disparitions dans ces parages. » (Dans les marais de Fenn)

Nous voguons ainsi entre les vapeurs d’alcool et l’épaisseur du brouillard, avec cette agréable sensation de flottement, liée très certainement au caractère vaporeux des atmosphères posées et à l’exigence des textes.

Comme souvent avec les recueils de contes, nouvelles et textes courts, on le garde à portée de main, pour s’y replonger de temps en temps. On en lit deux ou trois pour se mettre dans le bain, se laisser envoûter, surprendre, et puis on laisse poser. Les textes restent, mijotent, s’accrochent, il faut savoir être patient. 

« Il y avait là une raison de commettre un crime pour Hildensheim et Bobby Moos ; mais le triple soleil des lampes, le regard furieux de Cavendish le barman, la nuit méchante guettant aux vitres et l’or tiède du whisky les avaient rendus lâches. » (Petite femme aimée au parfum de verveine)

La postface permet d’avoir des précisions biographiques, bibliographiques et littéraires, de faire la lumière sur certains points restés trop brumeux, c’est très intéressant et instructif. L’éditeur précise par-ailleurs la traduction choisie, fidèle à l’original, sans caviardage. Effectivement, certaines remarques envers le peuple juif piquent un peu. Nous sommes plus dans de la remarque vaseuse que dans de l’antisémitisme pur jus mais bon, tout de même, disons que ça donne le ton sur l’esprit de l’époque…

Les contes du whisky
Jean Ray
Espace nord
2019
253 pages

lu dans le cadre de l’opération Masse critique avec Babelio

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