Viendra le temps du feu – Wendy Delorme (Cambourakis)

On n’attendait pas forcément Wendy Delorme dans un virage dystopique et pourtant ça lui va comme un gant ! 
Wendy Delorme est universitaire, performeuse, activiste féministe queer, écrivaine. Dans ce nouveau roman, cinq figurent s’articulent, Ève, Louise, Rosa, Raphaël, Grâce. Par leurs regards et leurs luttes se déploie un flamboyant et incandescent roman, très sororal, qui se tisse de part et d’autre du fleuve où tout s’est joué et où tout reste à faire. 

« Il faut apprendre à observer, pour vivre parmi les Autres, ou plutôt y survivre sans se faire repérer. Leurs manières de faire, les petites choses, surtout. Comment ils parlent, les rires et les hochements de tête, les silences, phrases polies. Observer les fausses notes. Lorsque quelqu’un commet un impair, s’en rend compte au mépris dans le regard des Autres, puis évalue l’espace qu’on lui laissera ou pas pour se rattraper, pour glisser sur la bourde, sourire, ou annoncer : « Je vous laisse, on m’attend. » Ces éléments de syntaxe qui sont comme les rouages d’une machine à broyer. »

Par des jeux de miroir, nous rencontrons celles et ceux dont la société attend qu’ils procréent pour le bien de tous, pour « contribuer » afin que l’espèce ne s’éteigne pas, et celles qui ont déjà tenté de refuser cette domination du patriarcat outrancière, qui, chacune au fil du temps et de son vécu, se sont vues disparaître, renaître, s’évanouir et échafauder à nouveau. Un envers du décor où la puissance réside dans le collectif, la solidarité, et la littérature aussi, qui filtre malgré les interdictions, éclaire, laisse entrapercevoir, accompagne. 
 
Alors on pense un peu à Orwell, Atwood ou Bradbury forcément mais Wendy Delorme pose ses propres marques en s’attachant particulièrement à la figure humaine, ce qu’il en reste, ce qu’elle devient, comment elle lutte, pour garder du sens dans ses actes.
 
Si Wendy Delorme a choisi la forme dystopique pour ce cinquième roman, c’est pour nourrir peut-être encore davantage les sujets qui l’interpellent, dans les domaines du corps, de sa domestication et de sa révolte, ou du genre assigné et dépassé, ici dans une veine plus tragique puisque poussée à son paroxysme (encore que) dans une société devenue totalitaire par simili prudence écolo-nomique. C’est à la fois flippant et vivifiant, politique, intime, étourdissant. Et c’est publié dans la très chouette collection Sorcières chez Cambourakis !
« Je crains trop de te perdre, je n’y survivrai pas. Je t’ai trop attendue. Partons loin d’ici. Cessons de contempler les ruines de ce qui fut. »
 
Viendra le temps du feu
Wendy Delorme
Editions Cambourakis (Sorcières)
2021
259 pages
 

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