« Au fond de l’impasse, plongée dans son repli sombre, la maison abandonnée était à peine visible, sépulcrale, et Alex eut le sentiment qu’une tristesse infinie s’en dégageait, que le pavillon déserté matérialisait soudain cette peine vertigineuse dont il ne percevait pas encore les contours, ce gouffre de solitude et d’abandon. Dans le même temps, il fut traversé par l’idée – la conviction – improbable qu’il pourrait trouver ici un soulagement à sa souffrance, que cet endroit pourrait en être le réceptacle, et qu’il lui suffirait pour cela d’en franchir la porte. »
Les années 90, une maison abandonnée, des ados en quête d’eux-mêmes… Jean-Baptiste Del Amo joue sur les angoisses glissantes avec les codes du roman fantastique et horrifique sauce Stephen King, quelle réjouissante idée !
Nous sommes du côté de Toulouse, Alex, Lena, Mehdi, Max et Tom échappent à leurs tracas adolescents ou familiaux en se retrouvant dans les anciennes serres du coin, fument des joints et causent films d’horreur. La maison de l’impasse des Ormes fait partie du paysage, son délabrement interrogeant les regards ou invitant à passer dare-dare son chemin. Un décès énigmatique au lycée changera la donne, glissera l’idée de réponses possibles. Une porte poussée et au fil des visites des liens qui se brouillent, des envies qui se floutent ou se révèlent, les sens exacerbés et les repères mis à mal.
« Une part d’eux-mêmes venait de leur être arrachée, et si aucun n’aurait su précisément dire laquelle, tous savaient en revanche qu’elle ne leur serait jamais rendue. »
Le récit se fait social, humain, labyrinthique. Les protagonistes évoluent aux frontières du réel, où les non-dits, violences et cicatrices semblent gagner du terrain. La tension monte dans un subtil mélange d’épouvante et de quête de soi. Je me suis revue ressentir les mêmes émotions et cette porosité si particulière entre réel et imaginaire aux lectures de Carrie, Le Talisman des Territoires, Simetierre, La mort à la traîne, La maison des damnés… des maîtres Stephen King, Peter Straub, Dean Koontz, Richard Matheson… mais si nous tenons là un évident (et sublime) hommage à cette littérature et plus largement un poignant clin d’oeil à cette culture très 90’s, l’auteur dépasse brillamment les épineux travers inhérents à l’exercice et inscrit ses propres sinuosités et profondeurs sensibles dans ce roman happant, bluffant, étourdissant même, chapeau !
« Au-delà du seul frisson, quelque chose les fascinait dans la représentation de l’horreur qui n’était pas tant lié à la singularité de chacun de ces films qu’à ce qui les traversait tous : la volonté d’énoncer une vérité, de matérialiser et transcender les peurs d’une époque. »
La nuit ravagée
Jean-Baptiste Del Amo
Gallimard
2025
459 p.