Les filles de Salem – Thomas Gilbert (Dargaud)

Dans un récit très fort et glaçant, Thomas Gilbert retrace les procès pour sorcellerie qui se sont tenus dans le village de Salem au 17è siècle, accusant et condamnant de nombreuses femmes et jeunes filles. On connaît l’affaire par sa notoriété et ses adaptations diverses mais l’on évoque finalement peu l’absurdité du commencement.

De la drague mignonette entre adolescents mal perçue qui a resserré l’étau autour des jeunes filles, associée à la peur de l’autre en cette période colonialiste, elle-même associée à la présence des amérindiens aux portes du village, et l’entre-soi qui fait jaser, attisant les réflexes de méfiance et de haine. 

« Plutôt que de chercher le diabolique en nous… traquons celui qui nous semble étranger. »

Thomas Gilbert livre un récit très noir, décrivant avec une grande finesse comment cette communauté s’est refermée sur elle-même en cherchant le soulagement dans l’obscurantisme religieux, plongeant tête baissée dans une violence rassurante alimentée par la paranoïa malgré son manque de fondement. 

En sous-titrant Comment nous avons condamné nos enfants, il impulse une dimension politique, comme un avertissement à la redite. Il y a quelque chose d’oppressant d’ailleurs, dans ce basculement très vif dans la haine, et cette impuissance à refreiner les ardeurs. Remise en question du droit des femmes à la libre disposition de leur corps, radicalité nationaliste, repli dans la religion… Le propos n’est assurément pas uniquement historique. 

« Abigail.
A partir d’aujourd’hui, tu n’es plus une enfant.
Pour les hommes, tu es une proie…Tu le resteras jusqu’à ton mariage. Tu ne dois plus leur parler en public, sauf si tu es accompagnée.
A partir d’aujourd’hui, tu dois être invisible.
Quand tu marcheras dans la rue, tu regarderas le sol. Cette vue va te devenir familière.
Tu seras courtoise, tu répondras par un hochement de tête.
Tu vas saigner, ma fille, tous les mois, ton cycle reprendra.
C’est ta punition pour devenir une tentation aux yeux des hommes. »

Le découpage du récit met l’accent sur les changements clés dans les comportements. Le graphisme s’attache aux expressions, aux sentiments. On y lit tantôt la peur, l’incompréhension, la dureté, le jugement, l’apitoiement, la fuite, la haine. Les traits anguleux et les teintes sourdes conviennent parfaitement à l’atmosphère du récit et à l’époque. On regrettera simplement quelques libertés (ou confusions) avec l’Histoire, mais c’est un épisode qui m’intéresse, alors je pointille. L’ensemble reste véridique, vingt-cinq femmes ont été exécutées et une centaine emprisonnées. D’autres communautés ont suivi le même modèle par la suite.  

Une BD passionnante que je ne saurais que trop vous recommander ! 

Les filles de Salem
Comment nous avons condamné nos enfants
Thomas Gilbert
Dargaud
2018
197 pages

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14 commentaires sur “Les filles de Salem – Thomas Gilbert (Dargaud)”

    1. Je me suis sans doute mal exprimée. Le récit est historique, mais cette histoire résonne étrangement. On parle d’ailleurs beaucoup de sorcières dernièrement, un regain d’intérêt lié à un nouveau souffle féministe. Du coup, je pense que forcément il y a un lien… 😉

  1. J’aime quand les auteurs réussissent à nous parler d’aujourd’hui en traitant de faits historiques. Enfin, encore faut-il bien vouloir faire fonctionner son cerveau et réfléchir un peu aux liens entre passé et présent.

  2. C’est amusant, je viens de finir un roman qui parlait du procès des sorcières de Salem… Ou plutôt des descendants du fameux juge Hathorne. Je la note ! Plus ça va et plus j’aime les romans et bd historiques en fait…

  3. Le trait a l’air très fin et précis, je ne connais pas ce dessinateur, alors je note… (un de plus, encore… Le père Noël va avoir du mal à choisir…. 😉 )

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