Libres : Manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels – Ovidie et Diglee (Delcourt)

L’hypersexualisation de la société, ce n’est pas nouveau et on est au courant. On pourrait cependant imaginer qu’à force de dénoncer, on s’en détacherait, ne serait-ce qu’un peu, même de façon infime. Naïveté ! Un carcan chasse l’autre, figeant toujours plus les rôles, avec une nette volonté que celui de « l’objet » persiste, et de préférence qu’il soit incarné par une femme.

« On pourrait prétendre que sucer est bénéfique pour tout le monde, mais non. Nous sommes pourtant bien d’accord que si les effets étaient si positifs que cela, les hommes, qui ont la pompe à disposition en permanence s’en ferait des tartines et des masques. Pourtant, curiosité de la nature, le sperme n’auraient de bienfaits qu’exclusivement sur les femmes. »

Dans Libres : Manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels, Ovidie et Diglee remettent le sujet sur la table, avec un crédo majeur, celui qu’on se fiche tous mutuellement la paix.

Ovidie est féministe pro-sexe. On ne s’attend donc pas à ce que son propos soit nuancé. Sa force, c’est son sens de la déconstruction. Loin de chercher à couper des têtes, elle démontre par A+B qu’il va bien falloir un jour ou l’autre arrêter de nous la faire à l’envers.

« Pendant longtemps, notre hantise a été d’avoir un gros cul ou du moins d’être grosse tout court. La majorité des femmes ont un rapport angoissé à la nourriture, peu importe leur poids. On pourrait se réjouir en se disant qu’enfin nous sommes libérées de cette injonction. Sauf qu’il y a un piège. Si imposer aux femmes de faire des régimes pour ressembler aux mannequins est un contrôle du corps, alors imposer aux femmes de faire tous les jours des séries de squats et autres exercices censés rehausser le postérieur (voire de faire un tour sur le billard) est également une forme de contrôle du corps. Il ne s’agit pas de se sentir bien dans sa corpulence, on n’encourage pas les femmes à s’assumer telles qu’elles sont, on n’explose pas les normes : on s’en impose simplement de nouvelles. La dernière injonction en date est d’avoir un bon pétard, certes, mais toujours avec une taille de guêpe, et pas un poil de gras. »

Là où certain.e.s allument la mèche et opposent plus qu’iels (j’entends grincer les dents d’ici) rassemblent, Ovidie invite de façon très simple et très cash à faire ce que l’on veut, comme on le veut, quand on le veut, et si on le veut. Ça peut sembler un peu tarte à la crème et pourtant, assurément pas si simple. Avec franc-parler et humour, elle aborde en une quinzaine de courts chapitres le rapport au corps et à la sexualité. Fessier, gras du bide, homosexualité, temps qui passe, corps qui change, point G, mode vestimentaire, épilation, règles et j’en passe. L’essentiel des invitations à faire comme indiqué, qui frôle parfois l’injonction contemporaine, est passé à la moulinette tout en restant très fair play, car, j’insiste, elle n’oppose pas, elle déconstruit. Au dessin, les planches de Diglee croquent les propos d’Ovidie et ajoutent une touche de fun en mode coquin / taquin. C’est concis, précis, documenté, sourcé et par conséquent édifiant. 

« Jamais partie du corps n’aura autant été sujette à controverses et surtout à débats idéologiques. C’est à ma connaissance la seule partie de l’anatomie dont on se demande encore si elle existe alors qu’elle est pourtant visible, accessible, et sensible. Même dans la littérature scientifique, sa réalité même est encore et toujours soumise à débat. Le problème est qu’en affirmant que le point G est une légende, on infantilise les femmes qui ressentent du plaisir en le stimulant, on essaie de les persuader que ce qu’elles ressentent ne serait en fait qu’une chimère, les plongeant ainsi dans le doute voire la sensation d’anormalité. »

Personnellement, ne lisant pas de presse féminine et étant relativement protégée dans mon entourage par la misogynie, je me sens après cette lecture hyper préservée de pas mal de choses. J’imagine l’écho d’autant plus retentissant que ressentiront certaines à la lecture de ce bouquin.

Gros coup de coeur pour ce manifeste féministe qui ne mâche pas ses mots et pose la vraie question de ce que l’on désire. Un livre à faire circuler, femmes, hommes, confirmé.e.s ou en devenir. Un indispensable pour lutter contre la banalisation des pratiques car « L’important n’est pas de vouloir les changer dans la minute, mais au moins de continuer à s’interroger et s’autoriser à questionner notre environnement culturel. » Que vous soyez en phase avec votre corps et votre époque ou non, lisez-le, ça fait un bien fou ! A classer avec Liv Stromquist, Virginie Despentes et Mona Chollet.

« La situation est schizophrène, car d’un côté le couple est désacralisé, et d’un autre on n’est pas encore complètement autorisé(e) à sortir des clous. Dans l’inconscient collectif, un homme a toujours des besoins à satisfaire , il est donc parfaitement légitime qu’il ait un maximum d’aventures. Mais une femme doit quant à elle veiller à ne pas trop inclure de variété dans sa sexualité au risque d’être qualifiée de salope, je ne vous apprends rien. »

Libres
Manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels
Ovidie
Illustrations Diglee
Delcourt (Tapas)
2017
128 pages

Une interview assez représentative du livre à lire ICI. 

En savoir plus sur Ovidie ici. Je vous recommande notamment son documentaire Là où les putains n’existent pas, mettant en lumière les lumières du système puritain suédois que l’on vante peu.

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