Une si longue lettre – Mariama Bâ

Les classiques de la littérature africaine sont à l’honneur ce mois-ci pour notre maintenant traditionnel rendez-vous de « retour aux classiques » chouettement impulsé par Moka.

Parue en 1979, cette Si longue lettre porte un fort souffle d’émancipation pour les femmes sénégalaises subissant de plein fouet le patriarcat.

« C’est le moment redouté de toute Sénégalaise, celui en vue duquel elle sacrifie ses biens en cadeaux à sa belle-famille, et où, pis encore, outre les biens, elle s’ampute de sa personnalité, de sa dignité, devenant une chose au service de l’homme qui l’épouse, du grand-père, de la grand-mère, du père, de la mère, du frère, de la soeur, de l’oncle, de la tante, des cousins, des cousines, des amis de cet homme. Sa conduite est conditionnée : une belle-soeur ne touche pas la tête d’une épouse qui a été avare, infidèle ou inhospitalière. »

Ramatoulaye Fall est veuve depuis peu et la mascarade funèbre bat son plein. A la fois blessée et révoltée par le manque de considération criant des hommes envers les femmes, elle laisse sa colère assourdie pendant des années se révéler enfin en écrivant à son amie Aïssatou. Elle relate ainsi sa condition de femme, le poids de la polygamie et le détournement inhérent du mari pour sa première famille, l’amertume froide qui s’est dessinée au fil du temps, des déceptions, des non-choix, du respect feint.

« Et je m’interroge. Pourquoi ? Pourquoi Modou s’est-il détaché ? Pourquoi a-t-il introduit Binetou entre nous ? 
Tu répondras, logique : les inclinations naissent de rien, parfois une grimace, un port de tête séduisent un coeur et le gardent.
Je m’interroge. Ma vérité est que, malgré tout, je reste fidèle à l’amour de ma jeunesse. Aïssatou, je pleure Modou et n’y peux rien. »

L’une est veuve, l’autre divorcée, l’une dans une forme d’acceptation malgré les protestations, l’autre dans une forme de renoncement qui tient lieu de revendication. On constate en effet en parallèle un autre fossé, entre le féminisme de cette femme qui défend divorce et liberté personnelle, et d’un autre côté continue de glorifier une vie de femme dévouée à son époux, sa famille, sa maison, une certaine domesticité assumée en somme. Comme quoi chaque lutte a ses prismes, chaque époque ses regards aussi. Il n’en reste pas moins un texte très fort sur la condition des femmes, au Sénégal et bien plus loin, et toujours furieusement d’actualité.

« Notre société actuelle est ébranlée dans ses assises les plus profondes, tiraillée entre l’attrait des vices importés, et la résistance farouche des vertus anciennes. »

Née en 1929, Mariama Bâ était enseignante et écrivaine. Après avoir fait les frais de vies conjugales à deux vitesses, elle s’engage pour la défense des droits des femmes et l’accès à l’éducation pour toutes et prend la plume pour dénoncer ces inégalités.

Une si longue lettre
Mariama Bâ
Litos 2005
Parution initiale 1979
170 pages

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Prochain rdv fin septembre autour des classiques au programme dans l’Education Nationale…
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