« Il avait une petite tortue tatouée sur le cou au niveau de la carotide. Une de ces incisives était cassée en deux. Et une cicatrice verticale lui barrait le sourcil droit.
Quand il riait, ça éclatait de partout, comme quand les vagues s’écrasaient.
Son visage était parfois rongé de tics. Il clignait des yeux à tout va, il crispait les mâchoires, il creusait les joues. On croyait alors voir des lézards danser sous ses pommettes. Ça arrivait quand il était préoccupé. Sauf que personne ne savait vraiment ce qui le préoccupait. »
Baignade surveillée, ce sont des vacances dans le sud de la France, à Cap Ferret, même endroit depuis tant d’années, tellement de temps que la joie de s’y retrouver a laissé la place à l’amertume des habitudes qui vieillissent mal. C’est ce couple en fin de parcours, lorsque l’histoire est finie mais dont la fin n’est pas encore admise, cet entre-deux qui peut s’arrêter d’une minute à l’autre.
« Je cherchais à retrouver l’euphorie de nos débuts – mais je restais vautré sur ma serviette de plage avec l’impression de moisir. On gambergeait sans échanger un mot. »
Et puis l’histoire de deux frères dans tout ce que ça peut impliquer de contradictions. Des choix de vie diamétralement opposés, des chemins menés à contre-courant, entre vie de famille et jeu de voyou en cavale.
Des portraits d’individus à bout de souffle dressés en quelques phrases, c’est là où réside tout le talent de l’auteur. Guillaume Guéraud écrit habituellement pour les plus jeunes lecteurs ou les ados. Des textes de société avec une forte conscience sociale, qui amènent le débat et font réfléchir. On retrouve avec plaisir son écriture nerveuse, avec ce roman court qui se lit d’une traite, vif comme un petit café bien serré ou une vague de l’Atlantique prise en pleine tronche. Il ne fait toujours pas dans la dentelle et c’est toujours aussi bon. Pas de grandes envolées mais des phrases courtes et précises, des mots qui claquent, avec la vie comme elle est, sans pathos ni édulcorants, sans fioritures ni faux semblants.
A découvrir sans tarder !
« Et les voilà, les coulées dégueulasses de la nostalgie, les week-ends au bord de l’eau, à tailler les branches des arbousiers pour les transformer en épées, les vagues qui nous retournaient à l’envers pour nous planter la tête dans le sable, à claquer des dents l’hiver avant que notre père installe le poêle à mazout, les soixante et onze cloques que j’ai eues sur le dos en plein soleil l’été de mes dix-huit ans, les cerfs-volants et les feux d’artifice et tout le gluant sirop des souvenirs. C’est là, sans rire, je revois même mon frère faire ses premiers pas sur la plage. Il a appris à marcher dans le sable et, des années plus tard, notre mère riait en disant que c’était pour ça qu’il filait de travers. Elle tentait de plaisanter pour désamorcer sa propre colère, sauf que ça ne faisait marrer personne, surtout pas notre père qui jurait en tapant dans les cloisons : « Qu’est-ce que j’ai pu faire au bon Dieu pour avoir un fils pareil ? »
Baignade surveillée. Guillaume Guéraud. Editions du Rouergue (La Brune). 2014, 125 p.
Lu dans le cadre de l’opération Masse critique.
Un grand merci à Babelio et au Rouergue pour cette lecture !
Merci pour cet avis ! Je le note parce que c’est Guillaume Guéraud et j’aime cette façon qu’il a de bousculer le lecteur.
Merci pour cette critique. J’aime Guéraud pour sa lucidité et son style plein de bon sens! Hâte de le lire!
Je vois que nous sommes d’accord :-). J’aime les bouquins de Guillaume Guéraud pour exactement ces mêmes raisons, parce qu’il « bouscule le lecteur », pour « sa lucidité et son style plein de bon sens ». Tout à fait ça.