« Le roman noir, c’est l’apprentissage sur le tas. C’est la vie sous la couverture. Dans l’ombre et dans la marge. Une discipline qui sied aux autodidactes, aux libres penseurs, aux doux dingues de l’utopie, aux fascinés de l’anarchie, aux ennemis de l’ordre noir. »
C’est sur cette citation de Jean Vautrin tirée de la revue Les temps modernes que l’on entre en lecture. Et l’on se remémore bien alors les romans de l’écrivain, ou bien on découvre, si c’est une première, sa philosophie du roman noir, car c’est tellement ça.
Un gamin surprend un homme en costard en train de planquer de l’argent dans un champ. Au lieu de se dévoiler, on s’en doute, le môme récupère le magot. Les vieux compères et la flicaille aux trousses, le gangster Jimmy Cobb se planque dans une grange familiale. Il n’en fallait pas plus pour faire exploser des rapports plus que bancales.
C’est la campagne dans ce qu’elle a de plus rude, la violence âpre et ordinaire qui transforme une claque en nez cassé, le désir d’autre chose qui n’est plus qu’un mauvais goût amer dans la bouche, des actes commis avec aigreur et méchanceté, la fougue perdue et les frustrations qui s’ensuivent, les non-dits et le mépris qui s’incruste et s’alcoolise.
Le trait de Baru colle très bien avec l’univers de Vautrin. Des dessins où l’expressivité des personnages est tellement centrale qu’ils manquent parfois de sortir des cases. Baru n’a pas peur de la laideur, au contraire il en joue. Les visages sont déformés et prennent l’allure de caricatures, la colère est palpable, des remugles de sueur arrivent insidieusement jusqu’à nous, c’est la canicule ne l’oublions pas, la lumière est éblouissante et la poussière devient étouffante.
Baru multiplie les angles de vue et donne de la vitesse au récit. Quant au scénario, il est allégé et va droit au but. Et puis on y retrouve bien l’esprit et la langue gouailleuse de Vautrin.
Du pur roman noir en BD. C’est violent, glauque et décapant et qu’est-ce que c’est bien !
Canicule / de Baru, d’après le roman de Jean Vautrin paru en 1982. Casterman. 2013. 112 p.
(Challenge Thrillers et Polars #04)