Du domaine des Murmures – Carole Martinez

Au 12eme siècle, Esclarmonde refuse de se marier à Lothaire, fils du seigneur voisin,  et affirme la volonté d’offrir sa vie à Dieu en faisant le vœu de s’emmurer.
Malgré la colère et la douleur de son père, une chapelle est construite, attenante à son château.

« J’ai ensuite assisté, prosternée, à mes propres funérailles. (…) Face à ma famille et à ses alliés, j’ai prononcé mon vœu de clôture perpétuelle et accepté que seule la mort pût mettre fin à mon enfermement. »

La jeune fille de 15 ans accède ainsi au statut de Sainte. Dès lors, le miracle agit sur le domaine des Murmures, la mort n’est plus, les récoltes abondent.
Loin d’être isolée, Esclarmonde recueille les confessions des villageois, des gens de passage, des pèlerins venus spécialement auprès d’elle et rejoint l’inattendu réseau des emmurées.

Esclarmonde se découvrira bientôt enceinte, grossesse encensée par les villageois avides du moindre signe Tout-Puissant alors que cet enfant n’est que le fruit du viol. Elzéar, enfant chéri par sa mère et béni par tous, grandissant en allant et venant à travers les barreaux de la geôle. Mais le temps passe et les chairs de l’enfant s’affirment. Qu’adviendra-t-il de lui lorsqu’il ne lui sera plus possible de se faufiler ?

« Les mères n’assistaient jamais au baptême de leurs enfants. Elles gardaient le lit durant leurs quarante jours d’impureté, interdites d’église jusqu’à leurs relevailles. »

Son père, qui n’arrive pas à trouver la paix avec lui-même trouve son échappatoire dans les croisades, en prenant part, sur les recommandations de sa fille, à la marche vers Saint Jean d’Acre.
Esclarmonde prie sans cesse, ferme les yeux et voyage par ses visions, tisse des liens, délivre des messages.  Puis elle devient mère, se remet en question, interroge sa promesse.

N’étant pas spécialement coutumière des romans historiques, pas particulièrement transcendée par le temps des croisades et encore moins par la religion en tant que telle, je suis pourtant entrée tête baissée dans ce roman qui s’est avéré puissant dès les première pages.

Carole Martinez nous happe, très vite, avec l’histoire de cette femme piégée dans son propre serment, et nous dévoile une part des moeurs de l’époque, la religiosité exacerbée, la condition des femmes et la domination convenue, la folie des hommes.

Au fil des pages, son texte devient poétique et onirique, la magie mystique s’installe, Carole Martinez revêt l’habit de la conteuse, Du domaine des Murmures prend des airs de légende.
Son écriture particulière, les tournures fouillées et délicates dont elle use, rappellent parfois les textes classiques.
Avec une grande finesse, elle dresse un portrait captivant et dramatique d’une époque lointaine, qui trouve une résonnance finalement plutôt troublante avec l’actualité.

Un coup de cœur assez déroutant.

« J’étais entrée dans ma cellule comme en un navire, j’y avais essuyé des tempêtes, abordé des terres inconnues, j’y avais tout perdu et tellement espéré… Comment pouvait-on apprendre, tant changer, tant souffrir, tant vieillir, en si petit espace ? »

Du domaine des murmures / Carole Martinez. Gallimard, 2011
Paru également en poche chez Folio

3 commentaires sur “Du domaine des Murmures – Carole Martinez”

      1. Les romans de Carole Martinez mêlent réalité et songe, faits historiques, appels à l’imaginaire.
        Du Domaine des Murmures est un surprenant voyage immobile, à la fois riche en rebondissements et source de réflexion sur les choix définitifs.
        Du même auteur, La Terre qui penche. Même lieu, autre époque, l’écriture est toujours aussi élégante et l’intrigue déroutante.
        Mon préféré reste Le Coeur Cousu !

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.