Evangelia – David Toscana (Zulma)

Et si la Vierge Marie avait eu une fille ?

Les éditions Zulma, vous savez, cette maison d’édition tout de suite identifiable : une couverture très graphique (merci David Pearson), un simple triangle avec nom de l’auteur, titre, et un minuscule [z] qui veut dire Zulma. Sa fondatrice, Laure Leroy, m’a convaincu au cours d’une mémorable soirée à la librairie La Lison de lire Evangelia de David Toscana, un auteur mexicain.

Figurez-vous que notre roman commence un peu avant l’an Un après J.-C., en moins quelque chose avant l’arrivée du Messie. L’ange Gabriel vient voir Marie pour lui annoncer qu’elle porte l’enfant de Dieu. Problème : Dieu n’a pas précisé le sexe du Sauveur, l’archange n’a pas vérifié et bingo c’est une fille qui devra ouvrir les portes du royaume de Dieu, sous le nom d’Emmanuelle. Évidemment, Joseph ne l’avait pas vu comme ça, les rois mages non plus, ni le peuple juif, ni personne d’ailleurs. Emmanuelle va porter sa croix (si j’ose dire) et devoir prouver qu’elle est bien le/la Messie. Elle composera son équipe d’apôtres, une équipe féminine haute en couleurs, ces messieurs Pierre, Simon et autre Judas s’étant montrés sceptiques.

Vous l’aurez compris, nous avons affaire à un texte féministe et bourré d’humour. J’en veux pour preuve l’angle de vue atypique de Gabriel sur certains passages de la Bible, comme le franchissement de la Mer Rouge, quand Moïse ouvre les flots pour permettre la fuite du peuple élu (oui il faut un minimum de références, mais si vous venez sur ce blog, vous n’êtes pas inculte) :

« Les poissons jaillissaient de ces murs d’eau sans se rendre compte que la mer avait désormais des limites. Les gens attrapaient les poissons qui semblaient tomber du ciel, disait Gabriel, et les jetaient dans un panier pour les manger sitôt parvenus sur l’autre rive. Le seul incident à déplorer fut peut-être la mort d’un vieil homme dénommé Tsélophchad, brutalement écrasé par un orque, non à cause de la férocité de l’animal mais de son poids hors de l’eau. » p.144

Marie n’est pas en reste et de son côté commence à attraper le melon : si elle visite sa belle-sœur, elle intitule cela la Visitation. Qu’elle éternue et c’est l’Éternuation. Un régal !
Dieu, quant à lui, ne veut pas reconnaître sa fille aînée comme la Christe (absence d’écriture inclusive dans le roman) et crée une entité divine supplémentaire intitulée Jésus, qu’il va tenter d’envoyer parmi les hommes. Une sorte de Pierre Richard qui mourra à chaque tentative de venue sur Terre, de façons irrémédiables et lamentables. Ô joie.

Le tour de force de ce roman, c’est qu’on connaît déjà l’histoire dans les grandes lignes, et surtout la fin, et que c’est là la malice : les références (de base) en catholicisme permettent une double lecture. David Toscana crée un style ampoulé, qui singe la Bible, mais avec une fluidité actuelle. Au passage, l’un des personnages joue le critique littéraire et affirme que les Saintes Écritures sont très mal écrites. N’est pas Homère qui veut. On devine l’avis personnel de l’auteur (et je lui donne raison). L’auteur trouve une sortie à son récit aussi fine et surprenante que tout le roman qui le précède.

Aujourd’hui je suis un mécréant, mais enfant je me suis farci mon catéchisme. Rien que pour cette lecture, ça valait toutes ces années d’ennui. « Evangelia vaut bien une messe ! » serais-je tenté de déclarer si je voulais être solennel. Il y a du lyrisme magique dans ce roman, qui m’a donné autant de plaisir de lecteur que le légendaire Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, rien que ça.

Evangelia
David Toscana
Roman traduit de l’espagnol (Mexique) par Inés Introcaso
Editions Zulma
432 pages
Paru en 2018

2 commentaires sur “Evangelia – David Toscana (Zulma)”

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