« Indian Creek », ou la preuve que Pete Fromm est incontournable (Gallmeister)

Prêts pour une virée dans le froid du Nord américain ? Suivez Pete Fromm, avant qu’il ne devienne ce maître du Nature Writing. Sept mois dans l’Idaho, totalement isolé dans la nature en hiver.

De Pete Fromm, j’avais lu Lucy in the sky, un roman suivant une jeune fille un rien garçon manqué dans sa quinzième année dans le Montana. Ce roman avait fait naître une question obsédante : « comment un ancien ranger peut-il aussi bien comprendre une adolescente ? » La réponse se trouve ici, au long des pages du récit autobiographique Indian Creek : Pete, alors jeune homme un peu inconscient et rêvant d’une vie de trappeur, accepte un job l’isolant sept mois dans une passe déserte dans des conditions extrêmes. La Nature lui apprend alors à observer, à apprendre en se taisant. Pete est devenu une éponge, observant les émotions dans l’indicible : la Nature peut être calme, apaisée et vous meurtrir en une minute. Exactement comme les ados, exactement comme le personnage de Lucy qu’il créera par la suite.

Jamais tout à fait étudiant, le jeune Pete prend quelques cours du soir en Nature writing, genre qui compte aujourd’hui de nombreux chefs-d’œuvre comme Sukkwan Island (David Vann), Into the wild (Jon Krakauer), ou La rivière du sixième jour (Norman MacLean). On peut au passage saluer le travail d’édition et de traduction des éditions Gallmeister qui n’en démordent pas : il faut faire connaître au public francophone des trésors de la littérature américaine inconnus jusqu’alors. Leur catalogue vous laisse doucement rêveur, réconforté car vous savez qu’il est toujours possible d’y puiser lorsque vous êtes à court d’idée de lecture.

Dans ce récit rédigé en majorité au passé simple (l’auteur évoque des souvenirs), la sincérité des péripéties décrites débouche sur une véritable profondeur. Pas d’adages grotesques, pas de portes ouvertes enfoncées. En cela, Pete Fromm se démarque de Sylvain Tesson qui s’était perdu Dans les forêts de Sibérie : il ne se prétend pas supérieur, éclairé, révolté par le reste de l’humanité, rit de sa naïveté et de son manque de préparation.

Lorsque le dernier garde s’en va. « En lâchant l’embrayage, il conclut par un “tu te débrouilleras très bien”. » (p.34)

Une ultime phrase qui tombe, comme un pieux mensonge.

Quelques mois passent. Pete abat son premier gibier (enfin autre chose qu’un écureuil)… « Je ne pouvais m’empêcher de sourire… La prise de cet élan avait beau n’être que le résultat ridicule du hasard et de la chance, peut-être étais-je enfin devenu un authentique trappeur. J’avais réussi à me procurer ma propre nourriture. Et même s’il m’avait fallu deux mois, la vie me parut désormais plus facile. » (p.89)

Finalement, le jeune homme fait corps avec l’endroit, entraînant le lecteur dans son sentiment jaloux :
« Mais voilà qu’arrivaient d’autres chasseurs, et je ne voulais pas d’eux ici. Ils ne connaissaient rien à cet endroit. » et « Ils verraient tout ça tel que c’était maintenant, sans savoir par quoi il avait fallu passer pour en arriver là. Cela me semblait injuste. J’avais l’impression d’avoir payé mon dû, et maintenant ces gens-là venaient profiter de ce que j’avais mérité à force d’efforts. » (p.226)

Ce qu’a construit Pete Fromm en plein hiver dans les Rocheuses, c’est une philosophie de vie. Son rapport aux animaux est sain, par exemple. Il chasse mais ne veut pas gâcher la viande de l’animal tué et ne s’épargne aucun effort pour consommer ou conserver du gibier, jusqu’aux dernières restes. Ni « bo-bo » écolo, ni « brute épaisse », Pete inspire une profonde sympathie. Si vous lisez Indian Creek, l’épisode du lynx se montre éclairant sur ce point.

Dernière chose : la force de ce récit, c’est d’y instiller des moments de forte tension. Ce n’est pas parce que l’auteur est encore vivant et qu’il répond à des interviews (je vous conseille celle de Tara Lennart) que le lecteur ne tremble pas pour les personnages. Parfois, Pete marche un peu trop longtemps la nuit tombée, reçoit des visites de gens mal préparés à vivre dans des conditions extrêmes, se blesse.

Si un jour j’ai la chance de rencontrer l’écrivain, j’ai une chose à vérifier à ce propos, parce que oui j’étais inquiet.

Pour ces 7 mois passés dans l’Idaho et le Montana, je remercie Pete Fromm, les éditions Gallmeister (et Marie), Denis Lagae-Devoldère pour la traduction millimétrée, Libfly et la Voie des indés.

Indian Creek / Pete Fromm. Gallmeister, 2006 (réédition en 2017)

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