« L’homme affiche une longue moustache, si longue qu’il la trempe souvent dans la sauce de son plat préféré – une bouillie de haricots blancs – traditionnel chez les paysans dans cette contrée lointaine. A son appétit, on voit que l’homme est bon : il raffole tellement de son mets qu’il porte constamment, accrochées dans sa longue moustache, des croûtes de haricots blancs séchées. Son haleine fétide mélangée à l’effluve de la sauce avariée n’inspire guère l’amitié, alors l’homme est seul et agit seul ; mais sa tâche est honnête : il prend aux riches pour donner aux pauvres. »
Gheorge Marinescu se refait une beauté chez le barbier, rencontre un bandit de grand chemin, un homme à la moustache vigoureuse qui vole aux riches pour donner aux pauvres et qui cherche une lame bien aiguisée. Ni une ni deux, les deux hommes font affaire, mais Gheorge est avide, et le bandit bientôt mort. Une malédiction s’abat de fait sur la famille Marinescu qui n’en finit plus de connaître des épisodes dramatiques, et pourtant, ce ne sont pas les tentatives qui manquent pour se débarrasser du mauvais sort.
Irinia Teodorescu est née à Bucarest. Elle est arrivée en France il y a une quinzaine d’année alors qu’elle en avait à peine vingt. Pour ce premier roman, elle a choisi la langue française, langue qu’elle fait chanter et rouler avec une écriture très enlevée, originale et percutante.
La scène se joue quelque part dans les Balkans, avec une galerie de personnages hauts en couleur et des bonnes femmes au caractère bien trempé. Tel est le terreau de ce roman assez particulier, entre farce, fable et conte, emprunt de folklore et de superstition, à la fois loufoque et terriblement tragique, avec le portrait de cette famille qui se prend les pieds dans cette malédiction qui n’en finit pas, sombrant bien souvent dans l’aigreur, la folie ou la bouteille.
» C’est vrai qu’ils sont étranges dans cette famille, il y a les très méchants, mais alors quand ils sont bons, ils sont comme du miel…Puis il y a les fous aussi, il n’y a qu’à passer dans le village voir monsieur Guigui assis sur son banc depuis une éternité, et j’ai entendu que l’autre, la Gina, elle est toquée aussi, c’est pas pour rien qu’elle est allée se cacher à la ville. »
Un texte très riche et foisonnant, et qui se déroule si rapidement que l’on a parfois bien du mal à tout assimiler. L’auteure joue sur l’accumulation de personnages, les noms défilent ( j’ai d’ailleurs hésité à faire un arbre généalogique), au départ on ne sait pas où tout ça va nous mener, ça s’embrouille même un peu, on ne sait plus qui est qui, comme quand on vous évoque le petit-fils de l’arrière grand-tante. Finalement le mieux est de se laisser porter en gardant juste en tête un aperçu général de la situation, car l’effet est là, les catastrophes se succèdent, et l’on déroule le fil, avec l’impression de courir après une balle rebondissante qui dévale les escaliers.
Un roman ingénieux et original, court et intense, qui malgré quelques failles, mérite le détour. Laissez-vous tenter.
« A son retour, son aîné, Ion Marinescu, est grand et beau, fin et cultivé, il a quatorze ans et la barbe bien fleurie. Maria la Cochonne caresse d’un doigt la moustache délicatement soignée du jeune homme, et du dos des phalanges la peau lisse de la joue. Elle regrette un instant d’être sa mère, se ravise soudain elle se rappelle la malédiction. A-t-elle réussi à tout racheter par son voyage ? Dieu lui a-t-Il rendu grâce ?… Certainement, sinon pourquoi aurait-Il mis sur son chemin ce moine entouré de pétunias et de richesses ? D’un geste las de la main, elle efface le souvenir du bandit moustachu aux haricots et décide de reprendre sa vie là où elle l’avait laissée sans plus se soucier du passé lointain de son grand-père. »
La malédiction du bandit moustachu / Irina Teodorescu. Gaïa. 2014
Lu dans le cadre de Masse critique.
Un grand merci à Babelio et aux éditions Gaïa pour cette lecture.
Vu en librairie lundi et il m’a intriguée! Du coup, ta critique tombe à point nommé, merci.
Je vais surement le mettre dans ma PAL!