Ce mois-ci pour le retour aux classiques toujours chaleureusement impulsé par Moka, il s’agissait de faire place aux filles de joie. Alors joie, joie… ça dépend pour qui bien sûr, et qui plus est dans ce texte très resserré qui en dit long sur l’empreinte sociale du métier et de son époque.
« Hé, jeunot ! T’as pas envie d’acheter pour dix ronds l’seul vrai plaisir des jeunes ? »
Un matelot à terre, fier de déambuler parmi les fortunés, se fait alpaguer et soutirer sa monnaie par trois types qui lui proposent en échange une femme pour assouvir ses envies. Pas très à l’aise avec la démarche qui se déroule bien malgré lui, il se retrouve face à une femme nue dans un coin de pièce, à moitié inconsciente et à la santé fortement atteinte. A la fois effaré par les conditions de vie déplorables de la jeune femme, le caractère sordide de l’entreprise, et surpris de sentir ses sens se troubler instinctivement par ce corps présenté à lui, le narrateur s’indigne autant qu’il dompte ses pensées, cherchant avant tout à la sortir de cette vie misérable.
« Son corps avait fondu comme une bougie renversée sur une plaque de fer chauffée. Sa chevelure noire, qui, vu son âge, aurait dû être encore très fournie, était durcie par les saletés et le sang et faisait penser à un balai de palmes jeté aux ordures dont son corps, complètement décharné, aurait figuré le manche ».
Issu d’une famille de samouraï, Hayama Yoshiki exerce comme marin sur des cargos ou ouvrier dans une cimenterie avant de se faire incarcérer lorsque son militantisme syndical chatouille un peu trop les autorités. C’est en prison qu’il se mettra à l’écriture, puisant dans ses propres expériences pour forger des textes qui le distingueront comme fer de lance de la littérature prolétarienne japonaise.
« Mais qu’est-ce que tu veux qu’on y fasse ? Y a pas qu’elle qu’est malade. On est tous malades. On a tous été pressurés jusqu’au trognon. On s’est tous crevés au boulot. On a tous bossé pour arriver à bouffer, mais ça a pas fait long avant qu’on s’retrouve complètement détruits, vidés par le travail. Elle, elle est tubarde et, en plus, elle a un cancer de l’utérus. Moi, comme tu vois, j’ai la silicose ».
Par ce texte puissant et très noir, Hayama Yoshiki dénonce sans détour l’exploitation humaine et la misère sociale, dresse des portraits cueillis à vifs et mis au pied du mur et montre à quel point cela rejaillit sur les corps, par conséquence ou comme fin en soi.
« Je résolus alors de la sauver. Mais sauver les gens, est-ce que c’est faisable ? Est-ce que [la révolution] n’est pas le seul moyen de le faire ? Quand on veut soulever un fardeau trop lourd pour ses seules forces, est-ce qu’en le laissant retomber, on ne finit pas par le casser ? »
La prostituée
Hayama Yoshiki
traduit du japonais par Jean-Jacques Tschudin
Allia, 2021
parution initiale 1925
45 pages
Retrouvez ici les autres titres lus par les participant.e.s.
Prochain rdv fin mars autour de l’oeuvre de Toni Morrison…
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Je suis contente de ton retour et d’autant plus ravie avec ce choix de titre plus confidentiel.
Merci pour ta participation !