Déjà la 5ème saison des « classiques c’est fantastique » qui s’achève ! Pour fêter ça, nous étions invité.e.s à piocher dans l’ensemble des thèmes choisis durant ces 5 années pour donner un genre de joyeux mélange de toutes ces (re)découvertes parcourues. En bonne mauvaise élève, je me suis lancée sur le fil dans Le marin rejeté par la mer, roman de Yukio Mishima à la croisée du « Bord de mer ou grand large » de la saison 3 et des « Portes de l’Asie » de la saison 4, l’occasion pour moi de lire plus longuement cet écrivain complexe et controversé dont j’avais déjà lu quelques nouvelles, mais dont je connaissais surtout le nom et l’histoire par la passion de François Béru pour l’écrivain.
Ses seuls souvenirs de la vie à terre étaient ceux de la pauvreté, de la maladie et de la mort ainsi que d’une dévastation infinie. En se faisant marin, il se détachait de la terre à jamais.
Dans la banlieue de Yokohama, Ryüji, officier de marine marchande, rêve à son avenir, fait des plans sur la comète et économise dans ce sens. Mais c’est par le regard de Noboru, 13 ans, que nous le découvrons, car le marin entretient une liaison avec sa mère, aiguisant la curiosité voyeuriste de l’adolescent. Représentant au départ à ses yeux le symbole même d’une certaine virilité attendue et appréciée, l’homme deviendra rapidement médiocre aux yeux de Noboru, contrarié par sa bonté et son amour épris pour sa compagne le conduisant même à envisager des fiançailles. Rejetant l’idée d’un nouveau père assigné, qui plus est incarné par un homme dont il exècre la présence, et dopé par l’influence de sa bande d’amis, le garçon scrute les faits et gestes de Ryüji tout en imaginant une issue funeste.
Noboru savait qu’il inspirait autant de sympathie que de crainte. Il s’enivrait de cette menace tranquille, et quand il tourna son cœur de glace vers les deux adultes un léger sourire flottait au coin de sa bouche, un sourire comme celui qu’on verrait sur le visage d’un écolier qui vient en classe avec des leçons insuffisamment préparées mais avec la confiance en soi d’un homme qui s’élance du haut d’une falaise.
Les textes de Yukio Mishima me font le même effet que ceux de Gabrielle Wittkop, dans ce mélange de poésie, de tragique, de beauté et de malaise criant. Les sentiments sont à la fois purs et cruels, les atmosphères sont splendides, délicates et meurtrières, l’écriture délicatement ciselée pour vous coller dos au mur avec un regard froid.
A notre échelle de lecteur, c’est une attirante répulsion, la monstruosité qui s’insinue, le trouble qui s’installe. C’est terrible, mais force est de constater qu’on y retourne à chaque fois, goûtant le plaisir tortueux de ce que nous offre la littérature…
Le marin rejeté par la mer
Yukio Mishima
traduit du japonais par G. Renondeau
Gallimard 1968
Parution initiale 1963
182 pages
Merci Moka pour ton enthousiasme à faire perdurer les classiques parmi nos lectures et à bientôt pour la saison 6 !
Si vous avez envie de faire mousser un classique pendant votre été, piochez donc parmi nos trouvailles :
La saison 1 / La saison 2 / La saison 3 /La saison 4 / La saison 5
Ton article amplifie mon envie de lire ce titre qui sera très vraisemblablement mon prochain Yukio Mishima…