L’Oiseau rare – Guadalupe Nettel (Dalva)

Guadalupe Nettel s’attache dans ses romans aux quêtes individuelles,  aux drames ordinaires, aux fluctuations de nos vies. Dans L’Oiseau rare, c’est la question de la maternité qui est soulevée, avec une belle trempe et une solidarité lumineuse.

J’ai adoré découvrir Guadalupe Nettel il y a quelques années avec son déroutant recueil de nouvelles Pétales, puis plus récemment avec son autre recueil La vie de couple des poissons rouges ou encore son roman Après l’hiver. J’étais donc plus que ravie d’apprendre la sortie d’un nouveau roman, joie teintée d’une petite appréhension car je suis assez chatouilleuse au sujet de la maternité, mais c’était sans fondement bien sûr, car Guadalupe Nettel ne déroge pas à ses habitudes, de donner à penser plutôt qu’à juger. Un roman fort à faire circuler, notamment auprès de celles et ceux dont le sujet fait réagir, dans un sens ou dans l’autre.

« Je fais partie de ces gens dont le corps se crispe quand les pleurs d’un bébé retentissent dans un avion ou la salle d’attente d’un cabinet, et qui deviennent fous si ces cris se prolongent au-delà de dix minutes. Mais ce n’est pas non plus comme si les enfants me repoussaient complètement. Les voir jouer au parc ou s’écarteler pour un jouet dans un bac à sable peut même parvenir à me distraire. Ils sont un exemple vivant de ce que nous serions nous, êtres humains, si le civisme et les règles de savoir-vivre n’existaient pas. »

Alina et Laura s’était jurées de ne pas devenir mères, de ne jamais sacrifié leur liberté pour un enfant. Et puis chemin faisant, l’une a décidé que si, peut-être bien qu’elle était taillée pour ça finalement. L’aventure s’apparentera à un grand saut dans un univers difficile à amadouer. De son côté Laura va progressivement apprendre à connaître, à supporter et à comprendre son jeune voisin aux crises retentissantes. Les moments traversés oscillent entre vacillement, tâtonnements et sursauts. Certains sont terribles et terrifiants, ou en suspend. C’est dans un apprentissage vertigineux que nous accompagnons chacune des figures qui peuplent ce roman.

« Incontestablement une grossesse change quantité de choses, entre autres la relation que l’on entretient avec les gens : les amies qui avaient décidé de ne pas avoir d’enfants la regardaient à présent différemment, comme si Alina était atteinte d’une maladie contagieuse. Au contraire, celles qui en voulaient et voyaient le temps passer la contemplaient avec une admiration teinte d’envie. J’ignore si l’une d’elles, autre que moi, était sincèrement heureuse pour elle. »

La question de la maternité est encore aujourd’hui très glissante. Il reste un bon bout de chemin à faire et des discussions à faire évoluer pour sortir du contrat social de l’enfantement. Guadalupe Nettel brosse tout cela avec une grande justesse, évoquant aussi plus largement les rapports de couple, le corps médical, en affrontant toujours les écueils, mauvais augures et violences, qu’elles soient conjugales, chirurgicales ou sociales. Un roman qui touche pas mal de cordes sensibles mais ne tombe jamais dans le pathos, privilégiant la hauteur, le partage, un certain sens de la lutte et une sororité à toute épreuve.

« Quand on est jeune, il est facile d’avoir des idéaux et de vivre en accord avec eux. Ce qui est compliqué, c’est de maintenir une cohérence dans le temps malgré les difficultés que nous impose la vie. »

Les animaux et végétaux ne sont jamais loin dans les écrits de l’autrice, interagissant même en miroir des vies humaines. C’est toujours bien pensé et amené, et un bon terreau pour l’exploration des relations humaines et des tranches de vie, des rencontres, des liens qui nous dés-unissent.

En avoir ou pas, en ressentir l’envie ou pas, en avoir et ne plus les supporter, s’interroger, regretter, en avoir et foirer, ne pas en avoir et être présent, accompagner. Tous les cas de figure ou presque se croisent dans ce roman qui échappe au catalogue avec un doigté sans pareil. Guadalupe Nettel observe, place et dissèque, posément, elle bouscule avec empathie et cerne précisément, avec l’écriture fine et un brin décalée qui la caractérise.

« Au fait, a-t-elle dit juste avant de raccrocher. Tu te souviens des pigeons qui vivaient sur ton balcon et d’à quel point cet oisillon te paraissait étrange ? Tu devrais en toucher un mot à Monica. Sans doute pourrait-elle t’en parler. »

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L’Oiseau rare
Guadalupe Nettel
traduction Joséphine de Wispeleare
Dalva
2022
284 pages

4 commentaires sur “L’Oiseau rare – Guadalupe Nettel (Dalva)”

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