Ed Cercueil et Fossoyeur Jones sillonnent les rues de Harlem à bord de leur Plymouth. Les deux flics noirs sont craints dans le ghetto. Ils sont du cru, ils connaissent le terrain, leurs méthodes sont douteuses, et les gars du coin le savent.
Toujours à l’affût de crimes et d’histoires louches, ils tombent sur Gueule-Rose, un noir albinos géant, qui pétoche pour un de ses amis semble-t-il sur le point de se faire zigouiller. Ed Cercueil et Fossoyeur prennent l’affaire à bras le corps, dans des ruelles qui brûlent de chaleur et de tension. L’oreille aux aguets, ils partent à la rencontre de l’Africain, de Ginny la femme de Gus qui reste introuvable, Sœur Paradis ancienne tapineuse désormais guérisseuse par la foi en guise de couverture pour refourguer sa drogue, Oncle Saint le vieux drogué ventriloque, Gueule-Rose qui se teint pour passer inaperçu, et quelques gangsters peu aimables.
Harlem n’est pas qu’un décor, c’est un personnage à part entière, tellement les personnages transpirent la misère du ghetto. Pour autant, les romans de Chester Himes ne sont pas misérabilistes. Au delà de la violence ambiante, de la noirceur évidente et d’une injustice certaine, la rage et la révolte prennent le pas. Et au passage, on en apprend beaucoup sur le ghetto américain des années 50.
Harlem, « le cancer de l’Amérique », dixit l’auteur.
Un regard lucide, une langue qui claque, les graviers des trottoirs qui crissent sous la dent, des pointes d’humour, et du cynisme à souhait. Chester Himes ne fait pas dans le détail. Les balles fusent, les coups partent dans tous les sens, les morts tombent à la pelle et nos deux inspecteurs sont mis à mal. Pas de batifolage, la tension est palpable, l’atmosphère sombre.
Chester Himes (1909-1984) a commencé à écrire en prison, alors qu’il purgeait une peine de 20 ans pour vol de bijoux et voiture. Libéré au bout de sept ans pour bonne conduite, il poursuit l’écriture et publie une vingtaine de romans et nouvelles, dont 9 avec les inspecteurs Ed Cercueil et Fossoyeur Jones. Ils apparaissent pour la première fois dans La reine des pommes, que je ne saurais que trop vous recommander.
A la fois voyou, révolté et engagé, Chester Himes n’a eu de cesse de transcrire son regard sur la condition des noirs et les relations entre noirs et blancs avec son style vif et nerveux.
« Une population à moitié nue se perchait sur le rebord des fenêtres, s’entassait sur les échelles de secours, traînait la savate sur les trottoirs, rôdaillant dans les rues, dans les bagnoles déglinguées.
Il faisait trop chaud pour dormir. Les gens étaient trop mal en point pour faire l’amour. Il y avait trop de bruit pour se laisser aller à rêver d’un plongeon dans un creux d’eau à l’ombre des arbres à chapelets.
Des milliers de radios faisaient un boucan à déchirer la nuit ; des chats en folie miaulaient à vous crever le tympan ; des rires hystériques éclataient, entrecoupés de coup de klaxon, d’injures stridentes, de disputes à pleine gorge et des cris de guerre des batailles au couteau.
Les bars étaient fermés ; chacun avait sa bouteille et buvait au goulot. Que faire d’autre ? Boire jusqu’à plus soif un sale whisky, avoir encore plus soif et, après ça, voler ou se bagarrer. »
Ne nous énervons pas / Chester Himes. Gallimard « Série noire »
Existe en poche chez Folio
(Challenge Thrillers et Polars 11/12)