Notre règne arrivera – de Grace Lumpkins

Début du 20ème siècle, dans les collines de Caroline du Nord. Grace Lumpkin nous invite à suivre sur une vingtaine d’années une famille de paysans pauvres, et livre ainsi une grande fresque sur le début du 20ème siècle, dans la tradition des romans prolétariens américains.

Emma McClure vit avec ses quatre enfants, soutenue tant bien que mal par son père. Mais il s’avère de plus en plus difficile de survivre, les récoltes sont de plus en plus maigres et les terres sont récupérées pour la construction d’une scierie qui ne fera pas le bonheur de tous.
Lorsqu’un représentant d’une usine textile propose aux habitants un emploi en ville avec logement à la clé, elle imagine un autre futur, plus reluisant, avec davantage d’argent et de facilités et surtout l’école pour les enfants. Mais les promesses faites vont rapidement voler en éclat devant la triste réalité. Les nouveaux citadins vont découvrir à leurs dépens une vie aux prises avec la Compagnie, le sort des familles aux mains des dirigeants, la fatigue démesurée, la nécessité d’envoyer les enfants à l’usine, et la soupe qui reste malgré tout bien claire.

« A l’arrivée dans la ville, la route devenue une rue, guère plus large que celle dont ils venaient. Elle était bordée de trottoirs en terre sur lesquels s’érigeaient des cahutes de bois noircies par la fumée. Les enfants, qui jusque-là marchaient où bon leur semblait, se rapprochèrent d’Emma et Ora. Les deux femmes s’étaient elle-même rapprochées du traîneau. Elles se sentaient perdues, comme si elles venaient juste de se rendre compte qu’elles avaient abandonné pour toujours leur ancienne vie. »

Paru en 1932, ce roman a connu un grand succès à l’époque, et a remporté le prix Gorki en 1933, à l’époque où l’auteure était proche du Parti Communiste américain. Elle a cependant participé à l’oubli de son œuvre par la suite, en reniant ses écrits lorsqu’elle a tourné le dos à ses anciennes convictions. Pourtant, si ce roman est politique dans son sujet, il s’agit surtout d’un formidable témoignage sur La Grande Dépression, vue par les gens d’en bas. Grace Lumpkin inscrit ainsi son texte dans la tradition des romans prolétariens, avec la volonté de décrire la classe ouvrière et ses revendications.

Son regard est plein d’empathie, absolument pas misérabiliste. Les conditions de vie sont difficiles mais elle décrit surtout le combat quotidien, pour l’argent, pour se nourrir, pour exister. On assiste aux débuts de l’industrialisation, aux conditions de vies améliorées mais aussi plus coûteuses, ce qui entraine finalement un niveau de vie plus bas. Elle aborde ainsi les contradictions, le désenchantement, l’alcoolisme, mais aussi la détermination, la soif de revanche, la prise de conscience des ouvriers de leur condition de classe qui aboutira sur la formation des premiers syndicats.

Un très beau roman, avec de grandes scènes de vie, les rites de passage, les joies et les peines de cette courageuse famille McClure, et un beau témoignage des balbutiements de la justice sociale.
Merci aux éditions Aux Forges de Vulcain pour cette réédition !

Pour en savoir plus, écoutez et lisez ces entretiens édifiants avec Alice Béjà. Traductrice de ce roman, elle a également fait une thèse sur les rapports entre littérature et politique dans les Etats-Unis de l’entre-deux-guerres.

Lu dans le cadre de la Voie des Indés, en partenariat avec Libfly et Les Forges de Vulcain. Un grand merci à eux pour cette lecture passionnante et enrichissante qui m’a donné l’envie de relire Les raisins de la colère de John Steinbeck.

Notre règne arrivera / Grace Lumpkin. Editions Aux Forges de Vulcain, 2015

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