[Rentrée littéraire 2020] Comédies françaises – Eric Reinhardt

Un titre évocateur. Dans ce dernier roman d’Eric Reinhardt il sera question de comédies, en divers sens du terme, et l’ancrage sera très français. Comédie du surréalisme, comédie des lobbys, comédie des classes sociales vont donc être évoquées avec une ambition littéraire inégale et parfois inappropriée.

La comédie, et le théâtre étaient les grandes passions de Dimitri, le personnage central du roman, dont on apprend le décès en ouverture.

D’entrée il est donc établi que l’enjeu sera de comprendre les circonstances qui ont conduit à cette mort brutale, dont on sait juste qu’elle est le résultat d’un accident de la route.

S’ensuit une longue présentation de Dimitri, qui couvre une trentaine de pages, au cours desquelles Eric Reinhardt lâche les chevaux de son lyrisme à tout crin, de manière excessive à mon goût. On a des passages comme celui-ci :

« La façon dont elle marchait faisait rêver l’espace comme si les engrenages de sa démarche meulaient en elle les grains de quelque songe gorgé d’ailleurs… ».

Dans cette partie il multiplie les figures de style, les anaphores, les oxymores, il joue avec la ponctuation. On l’imagine soumettre son texte à l’épreuve du gueuloir, le scandant à pleine voix.

On peut dire qu’il joue au maximum la comédie de l’écrivain lyrique.

Passée cette épreuve, on a une phase de dialogue, entre Dimitri et une de ses amies, qui continue les présentations. Les termes sont pauvres, vulgaires, tout à fait symptomatiques de l’époque, et l’ensemble sonne vrai. C’est même assez émouvant.

Le décor planté le style se pose et adopte sa vitesse de croisière, on retrouve une prose caractéristique du roman français contemporain, assez plate, même si parfois l’auteur relance un peu de souffle, avec des effets de redondance.

On va suivre Dimitri dans sa quête de la texture du réel. Dans un premier temps il croit la percevoir dans l’incarnation d’une jeune femme qu’il croise à Madrid. Il va extrapoler cette rencontre, en l’investissant d’affects nourris par sa passion pour les surréalistes (André Breton, Max Ernst). Cela va le mener à différentes phases de dépression, jusqu’à sa rencontre avec Louis Pouzin, le créateur français du datagramme, une technologie informatique que la France a ignorée mais qui a abouti à l’invention de l’internet aux Etats-Unis dans les années 70.

Toujours plus borderline Dimitri va enquêter sur les causes qui ont conduit à ce raté industriel français et découvrir un homme d’affaire très influent en son temps : Ambroise Roux.

Mon sentiment sur ce livre est dans l’ensemble assez mitigé. Sa valeur littéraire me paraît aléatoire, mais son fond philosophique est fascinant.

Je l’ai lu facilement et en y prenant un certain plaisir.

Il faut dire qu’Eric Reinhardt soigne son lecteur en lui apportant sur un plateau des connaissances culturelles pointues et en lui permettant d’approcher les arcanes du pouvoir.

Toutefois j’ai vraiment l’impression d’avoir vu les coutures de son projet. Je pense que Reinhardt fourmille d’idées de romans qui ne sont individuellement pas assez consistantes pour être autonomes.

Il prend ainsi un roman potentiel sur le surréalisme et le rôle joué par Ernst dans l’invention de l’action painting, et un roman potentiel sur Ambroise Roux et les fusionne. Il attribue ces velléités romanesques à son personnage qui devient la clef de voûte du livre.

Du point de vue philosophique, Reinhardt met dans la bouche de Dimitri un discours anti-élite qui est certes pertinent mais qui est très manichéen. A tel point qu’à la fin du roman j’en suis arrivé à me demander si la démonstration qu’il souhaite faire n’est pas plutôt que les tendances gauchisantes de son personnage l’enferment dans une cage ressentimentale, ce qui le rend toujours plus paranoïaque.

Mais j’ai apprécié les questions que Dimitri se pose sur le réel, comment il interprète les coïncidences à travers les préceptes de Breton. Je trouve astucieuse la façon dont Reinhardt sème des indices, ou des détails troublants.

Les dialogues sont très bien troussés, ils constituent le réservoir d’émotions du roman, il y a quelque chose de vrai et de juste en eux.

Finalement ce qui relève du romanesque est très réussi.

La question que je me pose , c’est : pourquoi avoir intégré des plages didactiques très longues, pas si indispensables, et qui parfois plagient au mot près les notices Wikipedia ?

Quoiqu’il en soit c’est tout de même un livre de qualité que ce Comédies Françaises.Je ne suis pas sûr qu’il y en ait beaucoup qui présentent de tels potentiels de divertissement et d’enrichissement dans ce qui nous sera proposé à la rentrée.

Je remercie Babelio et Gallimard de m’avoir fait bénéficier en avant-première de la lecture de ce livre, c’était une expérience inespérée.

Comédies françaises

Eric Reinhardt

Gallimard

480 pages

2020

1 commentaire sur “[Rentrée littéraire 2020] Comédies françaises – Eric Reinhardt”

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