Seules les bêtes – de Colin Niel (Rouergue)

Tout commence par la disparition d’une femme, l’épouse d’un gars du coin qui s’en est bien tiré dans la vie, une bourgeoise pas désagréable qui foule les sentiers de randonnée pour passer le temps, à ce que l’on en sait. S’est-elle fait prendre par la Tourmente, vent neigeux légendaire qui fige les gens sur place, reste-t-elle morte quelque part, ou toujours vivante aux mains d’un tortionnaire ou d’un fou, toujours est-il qu’elle s’est évanouie dans la nature, au milieu des champs, dans cette pampa de terre d’élevage.

Alice s’interroge, l’assistante sociale qui visite les agriculteurs en difficulté. Puis Joseph prend la parole, l’éleveur pas très causant bien embarrassé par la tuile qui vient de lui tomber dessus, Maribé, la petite nouvelle qui fait tourner les têtes avec son profil bien trop sensuel pour la campagne à perte de vue, et Armand, celui qui ne pensait pas qu’on en arriverait là, qui voulait juste tenter sa chance, là-bas, sur l’autre continent.

« J’ai frappé. Pas de réponse. J’ai frappé encore . Et enfin j’ai entendu des pas glisser sur le sol derrière la porte en bois, puis le bruit d’un loquet qui sortait de son axe . Le battant s’est ouvert en grinçant .Et dans l’entrebâillement, j’ai eu ma première vision de cet homme abîmé qui un jour allait devenir mon amant , avec son jean sans forme, sa chemise grise et tachée, ses cheveux dans tous les sens. Mais ce que j’ai vu avant tout, c’est le fusil de chasse qu’il tenait à deux mains, en travers, comme pour m’empêcher de passer . Tu parles d’un accueil, ai-je pensé. »

Colin Niel s’éloigne de la Guyane qu’il nous avait fait connaître avec les enquêtes fouillées du Capitaine Anato (si vous ne connaissez pas, foncez découvrir Les hamacs de carton pour commencer ou le noir poudré Obia) et nous ramène dans la métropole pour nous conduire dans Les Causses et ses plateaux en bord de montagne. La construction a changé aussi. L’enquête « traditionnelle » laisse le champ libre aux personnages dans un roman choral parfaitement orchestré. Son écriture est toujours très intéressante, impressionnante dans sa finesse, avec ses descriptions précises et sensibles, et la faculté de vous happer instantanément dans son univers.

L’auteur s’attache encore davantage à l’intime, aux ressentis des personnages. Il pose des mots sur l’attente, la culpabilité, les doutes, avec une telle justesse que l’on a le sentiment de vivre à leurs côtés. Il évoque aussi la rudesse des métiers de la terre et du bétail, la charge de travail, le sentiment de débordement, l’isolement, le silence. Et puis c’est aussi un roman sur l’amour, l’attachement, le désir, la roue qui tourne, le temps qui passe, les rêves rendus opaques.

« Je ne sais pas comment c’est pour les autres, mais moi la solitude, je ne dirais pas que je l’ai voulue. Et elle m’est pas tombée dessus du jour au lendemain. Non, c’est venu lentement, j’ai eu le temps de la voir arriver avec les années, de la sentir m’entourer comme une mauvaise maladie. »

Seules les bêtes est un roman qui reste en tête, qui marque, qui pose question. Un roman intense, puissant, à la fois dans l’ambiance et dans le déroulé de l’histoire que l’on a envie de connaître toujours plus, et malin avec ça, car il fallait y penser à relier les Causses à l’Afrique de cette manière-là. Une expérience de lecture que je ne saurais que trop vous recommander.

Seules les bêtes / Colin Niel. Le Rouergue, 2017

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