Roman paru en 1970 aux Etats-Unis, best-seller subversif qui dépeint sans détour les laissés-pour-compte.
Nous suivons la vie de Jackie dans ses quinze premières années, dans les années 20-30, dans le Kansas puis plus au sud. Les premières chez ses grands-parents, l’assistance publique, les temps durs qui se prolongent, puis avec sa mère, qui lui vend du rêve cerné de faux espoirs, avec beau-père alcoolo-violent à la clé. Jackie n’est pas un gosse très heureux, mais pas excessivement malheureux non plus. Il pousse de traviole mais de façon finalement assez sereine, nourrissant sa curiosité pour le monde et pour les corps et le sexe, d’une façon certes déroutante et dérangeante mais non sans humour.
« Pris entre le marteau de la pauvreté comme échec moral personnel et l’enclume de ce miroir aux alouettes qu’était la récompense matérielle d’une citoyenneté à laquelle ils ne pouvaient jamais prétendre, ils étaient des réprouvés partout où ils jetaient l’ancre. Toute leur histoire était un kaléidoscope insensé de faits, de fantasmes sur grand écran, de mensonges de protection instinctifs et de vérités un peu arrangées pour entrer dans le moule d’un rêve américain modeste et présentable. »
En toile de fond, la Grande Dépression post crise de 1929, les années Roosevelt, les résidus de la Prohibition et de l’esclavage. De grandes questions de l’Histoire américaine, par le regard de ceux qu’on ne préfère généralement pas considérer.
« La maison n’accepte pas les chèques
Elle préfère la réussite. »
Le regard et le phrasé de Earl Thompson sont acides, empreints d’un réalisme tragique, sans pour autant tomber dans le misérabilisme. Il n’y a pas de pitié, de pathos, de reproches, une certaine fierté se dégage même, un esprit revanchard. La grand-mère se contente, n’ose aspirer à plus, contrairement à sa fille et à son petit fils, qui pour autant restent violemment lucides, empêtrés dans une condition sociale défavorable et engluante. C’est à la fois transgressif et magnifique, pourvu que l’on aime se frotter à cette littérature qui gratte et bouscule. Un roman aux allures de fresque sociale et humaine, préfacé par Donald Ray Pollock (ça en dit déjà long), pour lequel l’écrivain s’est inspiré de sa propre histoire. Une claque monumentale qui laisse un gros manque une fois la dernière page tournée, manque qui pourra être comblé par Tattoo, qui semble aussi monumental, à tout point de vue.
« Je fais partie de ces gens sur qui j’écris et ne ferai jamais vraiment partie des autres. Je fais partie de ceux qui ont été effrayés si jeunes par la violence que le simple fait de ne pas être mort est pour nous une victoire. » Earl Thompson
Un jardin de sable
Earl Thompson
Editions Monsieur Toussaint Louverture
2018
paru initialement en 1970
832 pages
paru en poche
version numérique
Tattoo est au moins aussi monumental, si ce n’est encore meilleur… enfin, moi, je l’ai préféré. Vivement la sortie du 3e tome de la trilogie !
Je l’ai offert à mon amoureux pour son anniversaire. Il l’a fini il y a peu et a été conquis.
Tattoo l’attend à la réouverture de notre librairie de quartier. <3