Bois-aux-renards – Antoine Chainas (Gallimard)

Antoine Chainas est de retour avec un roman noir bien serré où se mêlent mythes carnassiers, ruralité hargneuse, trajectoires à vau-l’eau et passions meurtrières.

« L’obligation des précautions sordides, les gestes fixés à l’avance pour apaiser l’esprit ou détourner l’attention augmentaient le plaisir.
Le quadragénaire omit à dessein de préciser que leur excursion en boîte de nuit s’était soldée par du rouge dans une ruelle. Du rouge fumant sur une gorge froide. »

Qu’il s’agisse de Chloé, rescapée d’un accident de voiture prise en main par une étrange communauté, d’Anna, autiste clairvoyante tendance poudre d’escampette, d’Yves et Bernadette, qui déambulent dans leur camping-car à l’affût de leur prochaine cible, les époques et trajectoires se croisent jusqu’à converger méchamment. Mais rien n’est jamais joué avec Antoine Chainas, les dés sont jetés depuis belle lurette mais la surprise reste entière, préservant le noir total dans son plus simple apparat. Nos personnages n’ont dès lors plus grand chose à perdre alors autant y aller franco. Ne pas abdiquer, ne pas se trahir.

« Le sourire d’Yves s’élargit. La créature à côté de lui n’imposerait pas de passer par de fastidieuses circonlocutions ou d’employer des manoeuvres subtiles. Trois mots suffiraient, jugea-t-il. Vous voulez boire ? ».

Ce n’est bien sûr pas la seule référence de couples meurtriers mais l’on pense forcément à la superbe série Les Papillons noirs, avec ce couple avide de vies en suspends, qui se retrouve ici dans le mystérieux territoire de Bois-aux-Renards, terrain d’expérimentations scientifiques et humaines aux histoires entêtantes qui font vriller les trajectoires et gomment toutes les certitudes.

« Ces lieux te montreront ce que tu as besoin d’obtenir, de retrouver. Ils te dévoileront les choses oubliées, celles dont  il faut se souvenir pour apprendre. Les réminiscences t’aideront à renouer avec l’unité, à reconnaître ton propre destin. Je sais que tu ne comprends pas ce que je dis, enfin pas tout à fait, mais tu devines que quelque chose t’a attirée ici, et que tu ne dois pas repartir avant d’y avoir accéder. Bois-aux-Renards t’indiquera la marche à suivre. Il te suffira de suivre la nature, de l’imiter. »

Nous tenons là un excellent roman noir, bien écrit (parfois un peu ampoulé certes) et bien mené, ultra addictif. J’avais été scotchée par Une histoire d’amour radioactive notamment, qui déjà en disait si long sur ces déviations qui peuvent tout faire imploser. Versus montait encore d’un cran en matière de sauvagerie froide. L’auteur sonde et fouille la noirceur humaine pour en tirer une liqueur subtile, et chacun de ses romans offre une saveur nouvelle en ce sens. Amateur-ice du genre, foncez et délectez-vous bien !

« Peut-être que cette nausée avait toujours existé, se dit-il. Peut-être qu’elle avait toujours attendu, précédant son arrivée au monde, et qu’aujourd’hui il la rencontrait enfin, il l’identifiait, il la reconnaissait, il l’épousait, il y succombait. »

Bois-aux-Renards
Antoine Chainas
Gallimard (Série noire)
2023

528 pages

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