En 2012, Caryl Férey nous subjuguait avec Mapuche, en mettant la pleine lumière sur la dictature et ses résidus actuels, l’oppression, la révolte, le scandale des disparus et le combat des grands-mères de la place de mai.
Condor nous invite à passer la frontière chilienne, sur les traces profondes laissées par l’héritage des années Pinochet.
Le fils d’un journaliste est retrouvé mort. C’est le quatrième adolescent à être laissé sur le pavé de La Victoria, quartier pauvre de Santiago. Une victime de plus, de trop, et à l’évidence banal dommage collatéral de la corruption et des trafics qui gangrènent le coin.
Gabriela est cinéaste. Elle filme la scène, les lieux, le corps. Les jours passent et la police enquête mollement. Alors elle contacte Esteban, avocat spécialiste des causes perdues, et avec Stefano, projectionniste dans le cinéma du quartier et ancien militant dans les rangs d’Allende, et le Père Patricio, prêtre humaniste en quête d’un avenir plus réjouissant pour les gosses du quartier, ils vont s’acharner à dépasser l’apathie qui semble arranger pas mal de monde, reprendre la main sur les vies volées et tenter de leur rendre justice. Le sentier sera rude et féroce, les entrainant dans les recoins sombres de l’Histoire de leur pays.
« L’amitié, ce vieux soleil qui lui réchauffait les os. »
Caryl Férey livre encore une fois un roman très riche, avec une enquête fouillée, minutieuse, très documentée. Une enquête du bitume, à hauteur d’homme, qui met la lumière sur les laissés pour compte, dénonce l’injustice sociale, la corruption, et la surdité politique. Il décortique un pan de l’histoire sociale et politique du Chili, la dictature répressive des années 70, le Plan Condor et la chasse aux opposants au régime, le passé qui résonne toujours.
Et puis il y a de l’amour, forcément, parfois un brin naïf, de l’amour aveuglant et tortueux à s’en brûler les ailes.
La plume de Caryl Ferey est assez nihiliste, profondément noire, touchée par une certaine violence romantique, avec quelques envolées lyriques parfois, et quelques clichés dont on se serait bien passé. C’est intense, caillouteux, alcoolisé, profondément humain. Et s’il est un poil en dessous de ses autres romans, Caryl Férey sait toujours nous emmener très loin, nous captiver, avec délice et terreur.
« Les pierres parlent et crient parfois : c’est dans ce désert que la dictature avait installé ses camps de concentration. Des centaines d’opposants étaient emprisonnés dans des baraquements sommaires, souvent sans identification, plus sûrement assassinés et jetés dans les poubelles de l’Histoire. Des disparus, hommes et femmes que les militaires enterraient au petit bonheur d’un océan rocailleux, une balle dans la nuque en guise de linceul. »
Une lecture-concert a été montée, Condor live, avec Bertrand Cantat, Marc Sens et Manusound. On imagine fort bien le texte lu par Bertrand Cantat, il y a des similarités dans l’écriture, un style à la fois très littéraire, poétique, référencé, et à la fois très brut. Leur rencontre a dû s’apparenter à une évidence…
Condor / Caryl Férey. Gallimard (Série noire), 2016