Des cris et des crêtes – Olivier Migliore (Riveneuve)

Docteur en musicologie, Olivier Migliore officie notamment au sein du projet de recherche PIND – Punk Is Not Dead – mené collectivement au sein de l’Université de Tours. Après une thèse sur l’analyse de la prosodie musicale du punk, du rap et du ragga (1977-1992) à l’aide de l’outil informatique soutenue en 2016, il revient dans Des cris et des crêtes sur la démarche qu’il a menée, afin de rendre compte précisément ce qui caractérise la musique punk.

« Le punk, c’est aussi une sensibilité formelle binaire. La structure des chansons se résume à une alternance couplet / refrain. Les carrures sont symétriques : soit 8, soit 16 mesures et surtout, on ne s’embarrasse pas de ponts, de solos, d’intros ou d’outros. On commence plein pot, on trace, on s’arrête. Ah oui ! Parfois le dernier refrain est répété en guise de conclusion. C’est n’est pas Le marteau sans maître, mais c’est plus simple pour pogoter. »

Un singulier bouquin donc, puisqu’il n’évoque pas le courant musical et contre-culturel sous ses aspects sociologiques et historiques, sur lesquels on trouve déjà pas mal de choses à lire, en tête l’excellent Nyark Nyark par Arno Rudeboy, mais apporte un éclairage musicologique, en décryptant l’oralité punk. 

Sept morceaux de groupes emblématiques (Metal Urbain, Les Olivensteins, Starshooter, Les Garçons Bouchers, Ludwig Von 88, Bérurier Noir, Camera Silens) sont disséqués selon une méthodologie taillée sur-mesure par le chercheur lui-même, un genre de Do It Yourself en mode universitaire, permettant désormais d’analyser précisément cette musique.

« Le punk, et c’est plus étonnant, ce sont des moments de silence. Aussi étrange que cela puisse paraître, ces répertoires qui semblent avoir tout du mur du son, peuvent comporter de – brèves – interruptions, des moments de suspension, des baisses de densité. Le poids dramatique d’une pause dans un continuum musical est connu et pratiqué depuis des siècles, mais lorsqu’il intervient au milieu d’une tempête, son efficacité est décuplée. Les punks s’empareront pour la plupart de ce potentiel. »

Alors ça fait toujours un peu sourire, cette académisation du punk, et il peut en effet sembler aux antipodes de tels travaux. Pourtant plusieurs projets voient progressivement le jour (PIND en France, mais aussi Punk Scholars Network ou KISMIF – Keep It Simple Make It Fast), qui nourrissent les esprits curieux, les nostalgiques et celles.eux qui ont encore tout à faire.

Un livre de fait très technique, notamment pour une non musicienne comme moi, mais non moins passionnant par l’analyse qui en est faite, musicologique et linguistique, qui permettent d’appréhender encore autrement les choses. Par l’analyse de ces 7 morceaux, on replonge dans des sonorités bien connue (pour l’amateur.rice s’entend), avec cette fois l’oreille de celui qui cherche à comprendre et savoir, à analyser les identités musicales et vocales,  transposées aux contextes politiques et sociaux. La musique punk est régulièrement taxée de simpliste, en opposition aux musiques savantes qui mériteraient tous les égards. Preuve en est que l’analyse est tout autant pertinente.

L’occasion pour moi de replonger dans quelques notions de musicologie restées dans un coin de ma tête. Après mon DEUG de socio ethno, j’avais en effet eu l’idée saugrenue (pour une simple auditrice) de m’inscrire dans un cursus d’ethnomusicologie, que j’ai rapidement transformé en simple option devant le fossé flagrant qui s’ouvrait devant moi. Je me souviens notamment que nous avions été invité à reporter sur une portée les sons produits par un groupe de femmes au Vanuatu qui produit sa musique avec de l’eau (je suis d’ailleurs tombée sur ce reportage à leur sujet, si ça intéresse quelqu’un), nous confrontant justement à la problématique de la transcription lorsque les sons ne sont pas conventionnels et les méthodes pas nécessairement répertoriées. Ça m’a donc fait bien plaisir de suivre Olivier Migliore dans l’élaboration de ses outils et ses analyses.

Un sacré boulot, et une belle porte ouverte à celles et ceux qui voudraient étendre la réflexion.

« Insolents, moqueurs, militants, satiriques, agressifs, nombreux sont les adjectifs que nous avons employés pour qualifier les personnages lexicaux, vocaux, prosodiques et musico-littéraires mis en oeuvre par les premiers punks français. Ces adjectifs témoignent de la richesse du matériau de cette forme d’expression qui, à cause de son apparente simplicité, a longtemps été mise de côté par la musicologie. »

Des cris et des crêtes
Chanter punk en français (1977-1989)
Olivier Migliore
Riveneuve éditions
2020
260 pages

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