Les misérables – Victor Hugo

La tendance ces derniers temps dans le monde culturel est à un retour aux classiques. Et il se pratique sur Ça sent le book des chroniques de classiques orientées par certaines tendances. Or dernièrement la tendance était à choisir un mythe sur lequel on avait un à priori négatif.

Et c’est exactement ce que j’ai fait en me tournant vers Les misérables de Victor Hugo, auteur que je tenais pour inintéressant et très poussiéreux, auréolé de son titre de classique des classiques, puisqu’il n’est pas une scolarité qui ne puisse se faire sans rencontrer ledit Victor à tous les coins de rue.

Mais pourquoi Victor Hugo ?

J’en gardais un souvenir scolaire très pénible, finalement je l’avais très peu lu, et je ne comptais pas le lire de sitôt. Puis est arrivé le Coronavirus. Oui tout est toujours la faute du coronavirus en ce moment. Mais c’est surtout que du fait de la disparition d’une vraie actualité littéraire, j’ai pu prendre le temps de lire d’autres choses, des choses parfois improbables. Comme une conférence d’André Breton sur les classiques français du dix-neuvième siècle dans laquelle il évoque Nerval, mais aussi Victor Hugo. Et il rappelle que le romantisme, qui a été pas mal galvaudé au vingtième siècle, est un courant artistique plus qu’une pratique amoureuse prude. Et un mouvement artistique pas si prude justement puisque Hugo était un grand lecteur des contes d’Hoffman, de Maturin ou encore de Lewis. Et qu’il était aussi passionné d’ésotérisme et d’occultisme au point d’avoir passé énormément de temps à essayer de faire tourner les tables.

Tout ceci a réveillé en moi une certaine curiosité pour l’œuvre de cet auteur panthéonisé et finalement quand on y regarde plus près on s’aperçoit qu’il a été précurseur pour mettre en avant des freaks (Quasimodo ou Gwynplaine), que le grand combat de sa vie ça a été la lutte contre la peine de mort et pour la dignité de tous, et qu’il a été aussi un des pionniers du socialisme avec Les misérables.

Après cette longue introduction je vais pouvoir vous donner mon avis sur ce mythe de la littérature française.

J’avais fait plus jeune des tentatives de lecture des misérables dans des versions abrégées, parce qu’on est forcément impressionné par l’ampleur de la tâche. L’ensemble fait quand même ses 1500 pages en livre de poche.

Mais je déconseille l’expérience, parce que les versions abrégées sont allégées de tout le contenu philosophique conséquent dans lequel repose le vrai intérêt de ce roman.

Dès le début on est saisi par l’humanité qui est émise lors de l’exposition. Victor Hugo démontre à travers le personnage de l’évêque de Digne comment la dignité transite d’une personne à une autre et comment la bienveillance est fondamentale pour le rachat. Il moque au passage toute la société, la religiosité, l’injustice, parfois de manière très subtile comme avec un sénateur qui en se gobergeant se vante d’avoir « soulevé la robe d’Isis ».

Le personnage au centre de l’œuvre c’est bien sûr Jean Valjean, ancien bagnard condamné pour une broutille, qui se voit offrir sa rédemption, et qui n’aura de cesse de faire le bien autour de lui, d’aider les misérables, de pardonner aux délinquants, tout cela en fuyant Javert, incarnation d’une justice bornée.

De manière allégorique, on a tout au long de l’œuvre un triptyque moral qui se forme avec trois angles qui dialoguent. On a Javert qui incarne la rectitude d’une attitude morale sans discernement, Thénardier qui est l’opposé, à savoir l’incarnation d’une attitude amorale systématique, et au centre Jean Valjean, potentielle victime des deux, porteur d’un sens de la justice éclairé, mais marqué du sceau d’un passé trouble.

D’un point de vue plus formel, Les misérables est en plus d’un grand livre de philosophie, un livre vraiment addictif avec des climax et des scènes de tensions palpables au cours desquelles il est difficile de s’arrêter.

Mais je ne vous cache pas qu’il y aussi des longueurs. Par exemple l’analyse tactique des tenants et des aboutissants de la bataille de Waterloo est quand même très longue.

De même que la description du plan et de l’histoire des égouts de Paris.

Et c’est pour ça qu’il est difficile de reprendre ces grands classiques du dix-neuvième que sont les Dumas, Hugo, Balzac etc. Car même si leurs œuvres contiennent des passages de grand génie, on sait aussi que pour des raisons éditoriales ou pécuniaires, ils n’hésitaient pas à tirer à la ligne sur des 20, 30, 50 pages.

Je ne suis pas vraiment en mesure de commenter le style de Victor Hugo d’un point de vue technique, mais ce que j’ai ressenti en lisant le texte c’est une voix mue par un souffle puissant, un texte que l’on a envie de déclamer, d’un grand lyrisme, d’une grande poésie. Je ne résiste pas à l’envie de vous en citer un extrait :

« Gagnez à la loterie vous voilà honnête homme. Qui triomphe est vénéré. Naissez coiffé tout est là. Ayez de la chance vous aurez le reste ; soyez heureux on vous croira grand. En dehors de cinq ou six exceptions immenses qui font l’éclat d’un siècle, l’admiration contemporaine n’est guère que myopie. Dorure est or. Être le premier venu ne gâte rien pourvu qu’on soit le parvenu. Le vulgaire est un vieux Narcisse qui s’adore lui-même et qui applaudit le vulgaire. »

On a dans cet extrait un bon exemple des valeurs brassées tout au long du livre. La valeur de l’authenticité mais aussi du discernement. Et ce qui est intéressant dans tout le roman, c’est que contrairement à Zola, Victor Hugo n’est pas misérabiliste. Il évoque à un moment la « philosophie sociale » comme étant indispensable à une justice dans la société. Au moment du socialisme naissant, c’est une démarche d’avant-garde.

Les misérables c’est aussi une photographie de la société post-Napoléonienne, de ce début de dix-neuvième siècle, avec sa myriade de chapelles politiques et idéologiques, un grand bouillon de cultures dans lequel baigne un peuple exalté qui aboutira à l’émergence de la Commune et à l’instauration de l’ordre bourgeois en 1871, ordre qui est encore en place de nos jours.

J’ai parlé d’un triptyque de personnages signifiants, mais le roman regorge d’une galaxie de portraits comme le très Punk Gavroche, de ces gamins Parisiens de Ménilmontant dont l’auteur nous dit qu’ils incarnent l’Anarchie.

En conclusion je tiens à souligner que Les misérables est un roman immense, politique, historique, mythologique, humaniste… Il y a un proverbe arabe qui dit que si on lisait correctement, on aurait besoin que d’un livre dans toute sa vie. A mon sens un tel livre pourrait être celui-ci, tant il est riche, tant il a de ramifications, tant il explore l’humanité sous tous ses aspects.

Je regrette de ne pas l’avoir lu avant, et finalement pas tant que ça, parce qu’il faut une certaine maturité pour bien l’aborder, et je le relirai avec plaisir dans quelques années.

Je ne peux que vous conseiller de tenter l’expérience.

Les misérables

Victor Hugo

Environ 1500 pages (poche)

Toutes éditions

4 commentaires sur “Les misérables – Victor Hugo”

    1. Je vous le conseille !
      Après avec la profusion d’adaptations sur écrans ça fait partie de ces histoires qu’on a l’impression de connaître par coeur, mais rien ne vaut l’original !

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