Belfast, Irlande du Nord.
Nous sommes bien loin de l’Irlande verte, des collines à perte de vue, des photos touristiques et de son patrimoine celtique. Nous sommes dans une Irlande où la tension est palpable, les conflits permanents, à coup de bombes et cocktails qui font craquer Belfast l’explosive.
Jake est catholique, non pas qu’il soit spécialement convaincu par le sujet, plutôt une affaire de tradition familiale dirons-nous. Il cherche à se défaire de son profil de bagarreur, et préfère travailler dans le bâtiment plutôt que continuer son job consistant à saisir les endettés. Moins culpabilisant.
Chuckie est pour sa part protestant, le seul de la bande. Un balourd qui guette l’idée qui fera de lui son propre patron. Il trouve un filon efficace, entre escroqueries extravagantes et ficelles ultra capitalistes, qui le fait rapidement millionnaire.
Jake et Chuckie sont potes de tous les instants et compagnons de troquets à toute heure, inséparables malgré leurs appartenances religieuses divergentes. Car même si les croyances ne régissent pas leurs vies, Belfast brûle des convictions de ses habitants.
Pour Jake et Chuckie, la trentaine pleine de questionnements et de réflexions, c’est l’heure du bilan. Ils cherchent parfois leurs réponses dans des histoires de coeur. Chuckie rencontre Max, une américaine qui saura lui donner des ailes et qui considère Belfast bien plus tranquille que Brooklyn. Moins convaincant pour Jake qui a le don de s’engouffrer dans les pires histoires, ce qui n’arrange pas son coeur d’artichaut.
Un portrait saisissant de Belfast, brut, émouvant et politique, où les murs délabrés sont taggés de sigles en tout genre et où l’après-midi se termine au pub.
Jake et Chuckie, mais aussi Aoirghe, catholique aux idéaux républicains, Roche, genre de Gavroche irlandais, Peggy, la mère pas si banale de Chuckie, et bien d’autres. On s’attache à chacun d’entre eux et il devient bien difficile de refermer le livre.
Des vies qui se croisent sous la plume de Robert McLiam Wilson, sans misérabilisme mais avec beaucoup d’humour et une certaine acidité.
Une lecture que je ne saurais que trop vous recommander.
« A la maison, j’ai pris une douche, ignoré mon chat, mis mon costume et filé droit vers le supermarché. La fille qui avait le béguin pour moi y serait peut-être et je ne trouvais pas mieux. Je savais que j’étais triste, prêt à faire des courses dont je n’avais pas besoin pour retrouver une adolescente que je n’allais même pas draguer. J’étais triste, mais heureux ainsi.
J’ai racheté des champignons. Je n’arrivais pas à trouver autre chose. La fille qui avait le béguin pour moi n’était pas là. Mais je suis tombé amoureux. J’ai été servi par un gamin de dix-sept ans à l’ahurissante tignasse rousse et à l’acné invraisemblable, inégalable. C’était évidemment sa première semaine de boulot. Et il ne faisait rien correctement. Il marmonnait des paroles inaudibles et tout son visage rougissait au-dessus de son col de chemise. Il rougissait à la caisse, il rougissait devant les bananes, les baguettes et le fromage frais. Il rougissait infiniment plus que ma petite serveuse. Je ne crois pas qu’il rougissait à cause d’une quelconque passion pour moi. Quand il a tourné sa tête de rouquin, j’ai aperçu le sonotone niché juste derrière l’oreille, juste sous les cheveux. Ce gamin rougissait tout bonnement parce qu’il se considérait comme une mauvaise idée, une erreur colossale. Ça m’a donné envie d’embrasser son gros cou. Ça m’a donné envie de mourir d’amour. »
Eureka street – de Robert McLiam Wilson. Editions 10/18, collection « Domaine étranger ». 1996
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Challenge de littérature irlandaise chez Val |
Même si je n’aime pas lire des histoires où se mêlent la religion (et des livres qui parlent de l’Irlande sans évoquer cela, il doit pas y en avoir des masses !), tu donnes quand même envie de lire ce livre…chapeau !