Ferragus – Honoré de Balzac

Ce mois-ci pour le retour aux classiques impulsé par Moka et Fanny, il s’agissait de voguer entre Balzac et Flaubert. Pour ma part, le choix aura été vite vu, mes souvenirs de Flaubert convoquant chez moi plus de haut-le-coeur que d’envie.

« Toutes les douleurs sont individuelles, leurs effets ne sont soumis à aucune règle fixe : certains hommes se bouchent les oreilles pour ne plus rien entendre ; quelques femmes ferment les yeux pour ne plus rien voir ; puis, il se rencontre de grandes et magnifiques âmes qui se jettent dans la douleur comme dans un abîme. En fait de désespoir, tout est vrai. »

Place à Balzac donc, avec ce premier volume de L’histoire des Treize, au coeur de l’ambitieux cycle La comédie humaine, où Balzac excelle en matière de romantisme noir par lequel nous assistons à de l’amour intense aux débordements maladifs, à de la passion renversante à se faire cruelle, à la violence des tempéraments emportés dans leur démesure, aux mystères sourds et obsédants à en crever. 

« La lettre ne portait aucun timbre, et l’indication empêcha monsieur de Maulincour de la restituer : car il y a peu de passions qui ne deviennent improbes à la longue. Le baron eut un pressentiment de l’opportunité de cette trouvaille, et voulut, en gardant la lettre, se donner le droit d’entrer dans la maison mystérieuse pour y venir la rendre à cet homme, ne doutant pas qu’il ne demeurât dans la maison suspecte. Déjà les soupçons, vagues comme les premières lueurs du jour, lui faisaient établir les rapports entre cet homme et madame Jules. Les amants jaloux supposent tout ; et c’est en supposant tout, en choisissant les conjectures les plus probables que les juges, les espions, les amants et les observateurs devinent la vérité qui les intéresse. »

Dans le Paris du dix-neuvième siècle, un jeune officier dans la Garde royale se prend d’amour pour une femme mariée à un agent de change. Alors qu’il scrute ses venues au bal et en ville, il la surprend dans une rue où une telle dame ne saurait habituellement mettre les pieds. Cherchant à assouvir une curiosité prête à exploser, et porté par une déception qui ne sait pas se taire, il va mettre son nez dans des affaires qui ne lui appartiennent pas et faire vaciller l’équilibre parfait des époux Desmarets. Et malgré tout, la question reste en suspend. Qui est cet énigmatique Ferragus ? Les esprits flanchent et les bonnes santés sont mises à mal.

« Quel nom donner à cette puissance inconnue qui fait hâter le pas des voyageurs sans que l’orage se soit encore manifesté, qui fait resplendir de vie et de beauté le mourant quelques jours sa mort et lui inspire les plus riants projets, qui conseille au savant de hausser sa lampe nocturne au moment où elle l’éclaire parfaitement, qui fait craindre à une mère le regard trop profond jeté sur son enfant par un homme perspicace ? Nous subissons tous cette influence dans les grandes catastrophes de notre vie, et nous ne l’avons encore ni nommée ni étudiée : c’est plus que le pressentiment, et ce n’est pas encore la vision. Tout alla bien jusqu’au lendemain. Le lundi, Jules Desmarets, obligé d’être à la Bourse à son heure accoutumée, ne sortit pas sans aller, suivant son habitude, demander à sa femme si elle voulait profiter de sa voiture. »

Nous baignons dans une atmosphère parisienne typique, avec ses ruelles, ses hôtels particuliers, les petits métiers qui jouxtent les grosses fortunes, l’appât du gain et la spéculation comme moyen, les fiacres aux coins des rues… de nombreuses descriptions d’un Paris qui se dessine sous nos yeux avec la précision littéraire de Balzac,  qui s’attache à décrire les strates de la société d’époque, les gens autant que les lieux, moeurs et états d’esprit.

« En effet, les jeunes gens de Paris ne ressemblent aux jeunes gens d’aucune autre ville. Ils se divisent en deux classes : le jeune homme qui a quelque chose et le jeune homme qui n’a rien; ou, le jeune homme qui pense et celui qui dépense. »

Un Balzac parfait pour celles et ceux qui peuvent le trouver usant. Pour ma part, je n’avais que des souvenirs assez lointains et éteints, et je suis ravie d’avoir remis le couvert avec ce texte dont j’avais lu et entendu beaucoup de bien, et vais assurément prolonger cette redécouverte avec La duchesse de Langeais et La fille aux yeux d’or, toujours dans L’histoire des Treize.

Ferragus
in La comédie humaine volume 2
Honoré de Balzac
Omnibus
2007
texte paru initialement en 1833
pp. 17-111
dispo également en ebook libre ici

Retrouvez les autres rdv Balzac vs Flaubert par ici.
Prochain rdv fin novembre avec des histoires de familles…
Si vous souhaitez en savoir plus, voire même rejoindre (régulièrement ou ponctuellement) l’équipée, c’est par là.

2 commentaires sur “Ferragus – Honoré de Balzac”

  1. C’est un Balzac qui pourrait clairement me plaire. (J’adore ton intro concernant Flaubert, même si je fais partie de celles qui adorent Madame Bovary.)
    Je souris aussi en lisant ta conclusion car La duchesse de Langeais et La fille aux yeux d’or sont les deux Balzac qui me font très envie pour de prochaines lectures.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.