Gatsby le Magnifique – Francis Scott Fitzgerald

L’amour au coeur de ce retour aux classiques impulsé par Moka et Fanny. Celui qui donne des ailes ici, autant qu’il les brûle, dans cet éblouissant roman de Francis Scott Fitzgerald qui dépeint les amours malmenées des sieurs Gatsby et Buchanan sur fond des années folles à New York.

A Long Island, l’énigmatique Jay Gatsby ouvre sa somptueuse demeure à quiconque franchit son jardin, lors de soirées arrosées où tout le gratin s’accoquine dans un luxe ostentatoire. Pour autant, le maître de cérémonie reste en retrait, observant les allées venues, et renforçant ainsi le mystère qui l’entoure. Gatsby reste dans l’ombre mais cherche bien à briller, et nous le découvrons sous l’oeil de son voisin, le discret Nick Carraway, tout juste arrivé du Midwest et installé dans cette banlieue chic de New York, où il loue une modeste maison prise en tenaille entre deux énormes villas.

« Il me sourit avec une sorte de complicité – qui allait au-delà de la complicité. L’un de ces sourires singulier qu’on ne rencontre que cinq ou six fois dans une vie, et qui vous rassure à jamais. Qui, après avoir jaugé – ou feint peut-être de jauger – le genre humain dans son ensemble, choisit de s’adresser à vous, poussé par un irrésistible préjugé favorable à votre égard. qui vous comprend dans la mesure exacte où vous souhaitez qu’on vous comprenne, qui croit en vous comme vous aimeriez croire en vous-même, qui vous assure que l’impression que vous donnez est celle que vous souhaitez donner, celle d’être au meilleur de vous-même. Arrivé là, son sourire s’effaça – et je n’eus devant moi qu’un homme encore jeune, dans les trente à trente-deux ans, élégant mais un rien balourd, dont le langage policé frisait parfois le ridicule. Avant même de savoir qui il était, j’avais été surpris du soin avec lequel il choisissait ses mots. »

Nick Carraway, type discret, intègre et peu enclin aux paillettes, en apprendra finalement plus au détour d’une conversation chez sa cousine Daisy Buchanan, l’engageant à lever le voile sur son étrange voisin. Curieux alignement des planètes, il semblerait que ce fameux Gatsby fasse des pieds et des mains, bien maladroitement certes, pour se rapprocher de cette chère Daisy.

« Après une période d’angoisse maladive, suivie d’une période de joie délirante, il était maintenant bouleversé par le miracle d’une présence. Cette attente l’habitait depuis si longtemps, il l’avait si souvent imaginée, du début à la fin, dans ses moindres détails, attendue dents serrées, peut-on dire, avec un tel acharnement, qu’il s’en trouvait par réaction comme annihilé – une pendule dont on aurait trop tendu le ressort. »

Amours tues et cornes à peines masquées sont au coeur de ce roman qui déconstruit l’image du self-made-man et pose un regard acide et sans illusions sur l’Amérique de l’entre-deux guerres, pointant une lutte des classes pas prête d’en finir, pas même au nom de l’amour donc.

Fitzgerald voulait écrire un roman différent de ce que l’on pouvait lire à l’époque, et s’est ainsi attaché à décrire les fêlures, qui font se démener admirablement autant qu’elles s’épanouissent dans la chute. Une peinture d’époque sombre et amère dans laquelle il brosse finement protagonistes, émois, lubies et moeurs, avec un biais tragique magistral.

« Il n’y a pas eu d’appel téléphonique, mais le majordome, qui n’osait pas faire la sieste, a attendu jusqu’à quatre heures – c’est-à-dire bien après que quelqu’un soit en mesure d’y répondre s’il en arrivait un. Je pense personnellement que Gatsby ne croyait plus à cet appel, et peut-être même n’y attachait plus d’importance. Si c’est vrai, il a dû sentir qu’il venait de perdre à jamais son ancien monde de lumière, que c’était le prix à payer pour avoir trop longtemps vécu prisonnier d’un seul rêve. »

J’ai beaucoup aimé retrouver la plume et le regard de Fitzgerald, son sens de la nostalgie et une certaine pointe d’humour, qui m’avaient déjà beaucoup plu dans le recueil de nouvelles Les enfants du jazz, où l’on trouve notamment L’étrange histoire de Benjamin Button.

Le roman n’a pas connu le succès escompté à sa sortie en 1925, et a d’ailleurs été rapidement retiré des librairies. L’engouement est toujours très limité lors d’un réassort en 1934, et c’est seulement dans les années 50 que les choses prendront tournure, devenant dès lors un incontournable à faire tourner et à étudier, comme quoi. 

Plusieurs traductions existent. Celle-ci n’est sans doute pas la plus moderne mais le ton un peu suranné convient assez bien à l’atmosphère du texte. Cette édition propose également les échanges entre l’auteur et son éditeur en amont de la publication de Gatsby, ainsi que les préfaces successives, éclairant encore un peu plus le contexte de l’époque.

« – La voix même de Daisy y est différente, en effet. Une voix impudique, arrogante. Elle semble pleine…
Je cherchais le mot juste.
– Elle a une voix pleine d’argent, dit-il soudain.
C’était vrai. Je ne l’avais pas compris jusque-là. Pleine d’argent – d’où sa fascination, le charme envoûtant des modulations, ce cliquetis, ce frémissement de cymbales… Lointaine, en son palais de marbre, fille du Roi, princesse d’or… »

Gatsby le Magnifique
Francis Scott Fitzgerald
traduit par Jacques Tournier
Livre de poche
230 pages
publié initialement en 1925

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Prochain rdv fin mars et nous parlerons de classiques vers lesquels nous pourrions avoir quelques démêlés (Moi(s) à contre-emploi: ces livres que je suis censé·e détester)…
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14 commentaires sur “Gatsby le Magnifique – Francis Scott Fitzgerald”

  1. J’ai essayé de lire ce roman à trois reprises. Je ne suis jamais parvenue à l’achever. Le grand paradoxe est qu’il m’attire autant qu’il m’ennuie. J’aime l’époque, l’idée que l’on s’en fait. Mais rien n’y fait. C’est un livre qui me frustre terriblement.

    1. Ah oui ? Je l’ai lu d’une traite et j’y replongerais avec plaisir pour saisir encore plus les revers des personnages. Je replonge dans Fitzgerald et j’ai envie d’y rester 🙂

    1. Alors moi je voulais attendre de lire le roman pour voir le film, je vais m’y atteler rapidement, j’ai envie de rester dans l’atmosphère.
      En ce qui concerne les traductions, celle de Philippe Jaworski semble se démarquer 😉

  2. Nous l’avons étudié en cours de littérature américaine, en VO donc, et j’en garde un grand souvenir. J’ai une tendresse pour le personnage de Gatsby. Mais toi je n’arrive pas à saisir si tu as apprécié cette lecture

    1. J’ai adoré ! Et du coup j’ai ajouté quelques lignes pour que ce soit plus clair 😉
      J’imagine que ce doit être quelque chose à étudier, j’ai déjà envie d’y replonger pour bien tout saisir.

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