Du dialogue pantelant entre une jeune femme et une géolocalisation énigmatique.
Ariane, jeune femme tendance hyper anxieuse est invitée par sa vieille amie Sandrine à ses fiançailles dans un bled de banlieue verte. Pour l’accompagner jusque-là, la géolocalisation est partagée, le point rouge guidant et rassurant son cheminement vers le lieu des festivités. Le lendemain, la future épouse a disparut, mais la géolocalisation est toujours active. Et puis un corps est retrouvé.
« C’est comme si Sandrine t’avait tendu un piège. Un piège malsain : Tu es attendue à 19h pour mes fiançailles, Zone Belle-Fenestre. Arrive bien à l’heure. Tu as tapé sur ton GPS : « Zone Belle-Fenestre », puis « Lieu pour se fiancer Zone Belle-Fenestre ». Il a répondu deux fois : adresse inconnue. »
Journaliste spécialisée dans les faits divers au chômage depuis deux ans, Ariane va se raccrocher à ce point rouge vacillant, comme miroir de sa propre existence, de ses questionnements, de sa relation au monde extérieur, à l’affût du moindre indice qui pourrait l’éclairer sur cette énigme sans tain.
« Tes yeux sont arrimés à l’écran. Si tu les levais, ta respiration se couperait, et tu chuterais.
La carte, elle, est accueillante. Elle indique clairement les étapes et prévient les pièges. Le point de route te guide. »
Plongée littéraire dans l’ultra-contemporain, tout aussi agressif, pernicieux que fébrile, tout comme ce point rouge qui tressaute, nargue et peut rendre fou. Avec tranquillité et méthode, Lucie Rico fait monter la pression, nous suspendant nous aussi à la parole du GPS. Elle décrie les usages sans propos moralisateur, mais avec un humour sec et un regard en coin, questionnant le rapport au monde, aux gens, à ce temps réel par écran interposé qui tend à s’imposer si tant est qu’on lui laisse la possibilité.
« A chaque fois que tu écris, c’est pour le monde intermédiaire qui est le vôtre. Tu l’appelles la 33e région. Trente-trois parce que c’est votre âge, et que tu aimes ce chiffre. C’est comme ça que tu penses au GPS à présent, une région, avec ses propres règles. »
Un texte bien de chez P.O.L., un peu à part, contemplatif et coup de poing à la fois, interrogeant. Un roman où les personnages tâtonnent sous nos yeux, sous le poids de ce qui fait notre monde et usages aujourd’hui. Même si l’on n’est soi-même pas adepte de la smartphonisation à outrance, on reste cerné et le caillou dans la chaussure est balèze. Cette dépendance inhérente à l’impalpable, au mirage par écran interposé, cette sortie du réel ou la difficulté à s’y raccrocher, définit désormais les codes et conventions. Et Lucie Rico met le doigt pile dans le pli qu’il fallait. Bien vu !
« Tu gardes avec le point une distance raisonnable, mais tu ne peux pas le quitter des yeux. Il faudrait prévenir la police. Ou bien aller sur les lieux pour lui tendre un traquenard. Tu t’imagines en détective, te déguiser, avec une moustache, un bob marron, et un pistolet en plastique devant lequel le meurtrier s’inclinerait. Tu vengerais ton amie en l’arrêtant. C’est une belle idée, mais impossible. Tu ne te sens même pas le courage de t’habiller, alors arrêter un assassin dans la nature, non. »
Par l’autrice du Chant du poulet sous vide, dans lequel déjà elle s’emparait déjà d’un bon gros sujet de société pour le retourner contre lui-même, humanisant le poulet voué à l’escalope avec la même absurdité que l’on trouve dans l’industrialisation qui règne sur nos assiettes.
GPS
Lucie Rico
P.O.L.
Rentrée littéraire 2022
214 pages