Grand huit – Isabelle Kauffmann

Les années 20. Kitz est au volant de sa Bugatti. Il fonce. Il fuit. L’homme trahi roule vers il ne sait quel avenir. Allongée sur la route, une femme, sans vie. Dans ses bras, un nouveau-né. Ni une ni deux, Kitz ne se pose pas plus de questions. L’avenir est là devant lui. Il prend l’enfant qui devient dès lors son fils, David. 
Les années passent, la vie semble couler enfin paisiblement. Kitz a repris les reines de son entreprise de jouets, et David a déjà des inventions plein sa besace. Huit ans se sont écoulés quand Kitz reçoit des nouvelles de son ex-femme, Odile. Elle lui réclame leurs années de vie commune, 8 années pour commencer.
Le roman bascule ici dans un mélange de science-fiction, de réflexion scientifique burlesque, tout en gardant toujours un pied sur terre, quelque part. Pensant d’abord à une blague douteuse, d’autres événements vont conduire Kitz à devoir honorer sa dette. Mais comment ? Comment peut-on rembourser du temps ? A l’aide d’une voyante bulgare et de deux physiciens, il va tenter de dompter ce qui ne semble pourtant pas très maniable.
Les chapitres courts alternent et entremêlent les voix des personnages. Le voyage dans le temps est un prétexte. Il s’agit avant tout d’histoires de vies, de questionnements, de philosophie. Isabelle Kauffmann réussi le tour de force de faire tout cela sans chichis ni mièvrerie. C’est mélancolique et drôle, intelligent et débridé, ça sort totalement des rails et ça fait bien plaisir !
 
Entre la machine à explorer le temps, Retour vers le futur, et les bouquins de Daniel Pennac.
 
Gros coup de coeur qui ne peut que m’inviter à aller découvrir le premier bouquin de l’auteure !

Mme Gigov traîne les pieds. Ses genoux gonflent quand les cafards se reproduisent. C’est la saison des amours. Elle le sent. En général, il y en a pour trois, quatre semaines. Le seul remède efficace est de frotter les articulations avec des épluchures de navets ronds. Les navets longs sont sans inteéêt. Les ronds ont l’avantage, si l’on s’y prend correctement, de former de larges pelures hélicoïdales que l’on peut enrouler autour de la zone douloureuse. 
Lorsqu’elle ouvre la porte, elle découvre un homme ravagé. Sans un mot, elle le fait entrer et l’emmène jusqu’au salon. Il se laisse tomber sur une chaise, elle s’installe sur le divan. Le divan. Le meuble unique de tous les voyages, de tous les exils, emballé, emporté à chaque déménagement. Même si le velours cramoisi est râpé par endroits, sa valeur est inestimable : Frédéric Chopin y a dormi. Une nuit. Ou plutôt quelques heures. En tout cas, il est certain qu’il s’est assis dessus. 
Mme Gigov sort le petit jeu de cartes de sa poche puisse baisse les paupières. En quelques secondes, l’angoisse de Kitz l’a pénétrée.

Grand Huit – Isabelle Kauffmann. Editions Le Passage. 2011. 

Lu dans le cadre du challenge La rentrée littéraire des petits éditeurs, organisé par le site Les Agents Littéraires.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.