Harvey – Emma Cline (La Table Ronde)

Emma Cline semble aimer percer l’envers de personnalités à la chaleur humaine mal placée. Après Charles Manson dans The Girls, elle s’attaque à Harvey Weinstein dans un court roman tendu et irritant. 

Avec une méticulosité à toute épreuve, elle se tente d’imaginer l’état d’esprit du producteur dans les jours qui à la fois suivent le procès et précèdent le verdict. Elle se glisse ainsi dans sa vie et ses rouages bien huilés de type intouchable et taille ainsi le portrait d’un homme de pouvoir, accusé d’abus sexuels, qui se niche dans le déni, persuadé de sa bonne foi et à mille lieux d’une éventuelle condamnation avec enfermement à la clé. 

« Harvey était allongé sur son lit avec ses chaussures. Non, pas son lit. Celui de Vogel. Son lit lui manquait. Mais pas moyen de le garder, c’était bien ça le hic. Son ex-femme voulait le lit, entre autres choses. A elle le lit, et presque tout le reste. Maintenant, elle dormait sur le crin de cheval et le cachemire. Pourtant, quand il l’avait fait livrer, sa femme l’avait trouvé bosselé. Comment pouvait-il être bosselé ? avait-il répondu. Trente mille dollars et tu le trouves bosselé ? »

A première vue, pas tellement de surprise, on s’attend à suivre un connard dans un outrancier milieu de paillettes et gros sous hors sol et c’est exactement ce que l’on trouve. Mais ce bouquin agace et mijote, il reste et l’on y repense, car ce que pointe Emma Cline, au-delà de l’histoire de ce type, ce sont les rouages évoqués plus haut, qui rendent possibles cette impunité. Elle recale ces fossés entre des mondes qui se creusent, dissèque ce qui se joue et c’est pas joli joli.

« Demain, à cette heure-ci, il saurait tout. Enfin, pas exactement à cette heure-ci, vers dix-heures plutôt, mais quoi qu’il en soit, tout serait décidé. Il passa en revue les possibilités, essayant d’évaluer les preuves, dans un sens ou dans l’autre. Il n’y avait pas trente-six options. Il croyait, sincèrement, qu’il serait innocenté. Comment pourrait-il en être autrement ? »

Harvey
Emma Cline
traduction Jean Esch

La Table Ronde
105 pages

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