Place au Grand Nord ce mois-ci pour le retour aux classiques, impulsé chaque mois par Moka et Fanny aux côtés d’une joyeuses troupes de motivé.e.s.
Direction la Norvège donc, dans les rues de Christiania, ancienne appellation de la ville d’Oslo, aux côtés d’un jeune homme qui a les crocs. La Faim, le titre ne pouvait pas sonner plus juste. Nous tenons là un texte assez fou qui décrit la solitude de celui qui est affamé. Il n’est pas en colère, ni aigri, il cherche juste de quoi gagner sa croûte, et il galère franchement. Il est écrivain, rédige quelques papiers qui le comblent quelques temps mais trop peu pour assurer une stabilité, alors la quête recommence, incessamment. Alors il erre dans les rues, retourne la situation dans tous les sens autant qu’il retourne ses poches, frise le malaise, la folie.
« Mettre en gage le bien d’autrui pour un repas, boire et manger sa propre damnation, se traiter soi-même de canaille en plein visage et baisser les yeux devant sa conscience… jamais ! jamais ! Je n’avais jamais eu sérieusement cette idée, tout au plus m’avait-elle effleuré. On ne pouvait vraiment pas être responsable de pensées vagues et fugitives, surtout quand on avait terriblement mal à la tête, quand on s’était à moitié tué de fatigue à traîner une couverture qui appartient à un autre homme. »
L’action du roman réside dans cette quête de nourriture et pourtant on ne s’ennuie pas un seul instant, ferré que l’on est à cet homme qui lutte pour contrer sa faim, ne pas perdre la face, et ne pas perdre pied, devant des situations et contextes qui frisent parfois l’absurde aussi. Un texte vraiment impressionnant, par son réalisme sidérant notamment.
« Maintenant j’avais si faim que mes boyaux se nouaient dans mon ventre comme des serpents et il n’était écrit nulle part que j’aurais un peu à manger avant la fin de la journée. »
L’auteur a lui-même été journaliste et a traversé des moments de grosse misère. On comprend ainsi bien la justesse du propos de la décrépitude. Bon, je dois bien admettre que je suis un peu grimaçante car après tous ces éloges, sur cet auteur vers qui je suis allée car plébiscité par Octave Mirbeau, était en fait pro-nazi, reçu par Adolf Hitler et à qui il rendu hommage à sa mort. Autant dire que c’est un peu la douche froide…
« Il porta la main à son casque quand je le quittai. Son amabilité m’avait accablé et je pleurai de ne pas avoir cinq couronnes à lui donner. Je m’arrêtai et le suivis du regard tandis qu’il continuait son chemin à pas lents, je me frappai le front et pleurai de plus en plus violemment à mesure qu’il s’éloignait. J’invectivai contre moi-même à cause de ma pauvreté, je me donnai des noms d’oiseaux, inventai des dénominations blessantes, des trouvailles précieuses d’injures grossières dont je m’accablai moi-même. Je continuai presque jusqu’à ma porte. En y arrivant, je découvris que j’avais perdu mes clefs. »
La faim
Knut Hamsun
traduction Georges Sautreau
Le Livre de poche
288 pages
parution initiale 1890
Lisible en pdf ici
Retrouvez les autres titres ici ou là.
Prochain rdv fin janvier autour de Steinbeck…
Si vous souhaitez en savoir plus, voire même rejoindre (régulièrement ou ponctuellement) l’équipée, c’est par là !
J’ai failli être intéressé, mais la chute de ta chronique m’a définitivement éloigné de cette tentation !
Oui hein… suis deg !
Je ne savais pas, pour ses sympathies nazies… même si ça refroidit, il n’en reste pas moins que ce titre est en effet remarquable.
Je me souviens d’un récit paru il y a quelques années qui traitait de cet engagement nazi : » Qua va-t-on faire de Knut Hamsun ? « .
Lire et apprécier un auteur en mettant sa vie et ses opinions de côté, est-ce possible ? (vous avez 4 heures !!)
Aïe, mince… Ça reste un récit apparemment intéressant et très bien écrit, mais ça refroidit.
J’en avais entendu parler mais je n’ai toujours pas eu l’occasion de le lire. Certes, ses accointances politiques étaient détestables, il n’empêche qu’on ne peut nier la qualité de sa plume. Un peu comme Céline souvent mis de côté alors que ses romans sont très intéressants. On peut apprécier l’écriture d’un auteur sans pour autant cautionner ses idées politiques même si cela refroidit grandement.
Argh la fin de ton billet.. glaçant!
Je ne savais pas du tout pour les sympathies nazies. J’ai ce livre à la maison et je ne l’ai toujours pas lu, ce qui est une erreur quand je lis ce que tu en dis. Bonne idée que ce challenge des classiques, je vais le rejoindre ce mois-ci avec Steinbeck