Ambiance polonaise avec un polar bien senti, trépidant, efficace, qui montre une fois de plus que les éditions Agullo ont du nez pour dénichez des auteurs et des textes qui en ont dans le ventre.
La ferme aux poupée correspond à la deuxième enquête de l’inspecteur Mortka, dit Le Kub, qui débarque ici dans un bled des Carpathes, en Silésie, après quelques tensions à Varsovie. Le coin est habituellement assez calme mais les choses se gâtent lorsqu’une Marta, 11 ans, disparaît. Une affaire tendance dossier pédophile qui se mue progressivement en meurtres en série complexe où les tensions latentes vont prendre du galon.
Wojciech Chmielarz s’attache à ce qui se joue en périphérie, les méthodes d’investigations, les regards, le racisme, la violence, avec une posture sans jugement, y préférant l’humanité.
Nous découvrons ainsi la Pologne par la petite porte, les individus, la condition tsigane. Les personnages sont bien campés, le scénario très bien ficelé, avec de l’action et des rebondissements qui sonnent juste, sans jouer sur la corde sensible.
Vraiment un très bon polar et un auteur à suivre. Déjà quatre enquêtes avec Le Kub, qui peuvent se lire indépendamment les unes des autres. Vous pouvez y aller les yeux fermés.
« Mortka songea que toutes les barres d’immeubles de toute la Pologne se ressemblaient : des logements vieillots, étroits et qui sentaient le bouillon de poule. Celui-ci ne faisait pas exception. Il eut du mal à se faufiler dans l’entrée de son appartement entre une armoire, des vélos et un empilement de vêtements.
Une femme d’environ la quarantaine, cheveux marron, gras, ramenés en arrière et noués en queue-de-cheval, l’invita à entrer. Elle portait un pantalon de sport et une chemise noire recouverte d’un tablier de cuisine taché. Plutôt que de lui dire « bonjour » ou quelque chose dans le genre, elle observa longuement Mortka en gardant un silence abattu.
– Je ne vous connais pas, fit-elle enfin. Vous êtes certainement policier ?
– Je suis l‘inspecteur Jakub Mortka. Je viens de la Criminelle et Antiterrorisme de Varsovie.
– Mais nous ne sommes pas à Varsovie, juste à Kretowice, remarqua le femme avec lucidité.
– C’est exact, répondit Mortka, avant de réciter la formule apprise pour ce type de circonstances : Je participe au programme « Pont » de la police. Il consiste en ceci que des agents effectuent des stages chez des collègues d’autres villes. Le programme sert à des échanges d’expériences, à connaître les problèmes de criminalité d’autres unités, à acquérir des connaissances et à nouer des contacts susceptibles d’être utiles à l’avenir. Et nous continuons à travailler normalement. Ce qui signifie que j’ai les mêmes prérogatives et obligations que mes collègues du commissariat de Kretowice.
La femme réfléchit un instant à ce qu’elle venait d’entendre, puis hocha la tête en signe de compréhension. Elle engagea d’un geste l’inspecteur à la suivre.
Mortka se fraya un chemin entre les vélos, un pour garçon, un pour fille et un pour adulte, et s’arrêta à la porte donnant sur la pièce principale. Là, il aperçut un homme très très obèse, assis en short et tricot de corps sur un canapé. Il tenait dans une main une canette de bière, et dans l’autre une commande de téléviseur. L’air absent, il zappait d’une chaîne à l’autre. Il s’interrompit soudain et se tourna vers le policier.
– Elle va revenir toute seule, affirma-t-il d’une voix de basse profonde. La vieille fait des histoires pour rien. »
La ferme aux poupées
Wojciech Chmielarz
traduit du polonais par Erik Veaux
Editions Agullo
2018
399 pages
existe en poche chez Livre de poche