« « Je suis désolé, ma chérie, je l’ai sautée par inadvertance ».
Je comprends qu’un homme puisse sauter une femme par dépit, par vengeance, par pitié, par compassion, par désœuvrement, par curiosité, par habitude, par excitation, par intérêt, par gourmandise, par nécessité, par charité, et même parfois par amour. Par inadvertance, ça non. »
Une femme usée par son mari volage décide de l’empoisonner avec un plat de raviolis. Alors que le plat fumant est sur le point d’être avalé, une voisine sonne à la porte, demandant au couple s’il peut garder son fils. Une situation d’urgence qui s’amplifie lorsque le petit lorgne avec envie le mortel repas…
Mais vous n’en saurez pas plus, ou du moins pas tout de suite, car une autre histoire démarre, lorsque la femme paniquée par la vue de l’enfant bavant devant le plat de raviolis se souvient de son père qui avait un sens inouï du rebondissement pour se sortir des situations inextricables. Nous passons ainsi d’une histoire à une autre, imbriquées à la manière de poupées russes. Un roman gigogne donc, avec des chapitres courts aux allures de contes pour adultes, relatant des histoires de rats-taupes, de peste à Marseille au 18eme siècle, d’enfant doué de vision infrarouge utilisé comme détecteur de mensonges…
« Aujourd’hui on n’invente plus grand-chose. Celui qui détient l’armement le plus performant détruit les infrastructures de l’autre. Et l’autre réinvente la guérilla urbaine avec des moyens du siècle dernier. Et ça s’enlise. Et ça traîne… Au moins, du temps d’Alexandre le Grand ou de Jules César, ça avait de la gueule. Quarante mille soldats face à face dans un grand champ. La victoire dépendait de la tactique, de vrais choix de positions, d’attaques, de défenses. Une partie d’échecs puissance dix. Aujourd’hui, sur les cartes d’états-majors, nous ne faisons qu’imiter ou reproduire les figures héritées de quelque trois mille ans d’expérience. »
Tel un conteur, Pierre Raufast possède visiblement un don pour vous embarquer dans ces histoires. Nous pouvons d’ailleurs observer pas mal de correspondance avec le conte, dans la part de fantaisie et de délire caractéristique, et cette fausse légèreté capable de faire passer du tragique sans sourciller.
Un roman très habile, qui se dévore aussi vite que s’avale une assiette de raviolis. Mais prenez votre temps, ce serait dommage que vous vous brûliez le palais…
La fractale des raviolis / Pierre Raufast. Alma, 2014
Existe en poche chez Folio