27 juin, jour de loterie dans une petite bourgade de Nouvelle-Angleterre. Comme chaque année, Mr. Summers sort la vieille urne en bois dans laquelle les villageois tireront leur coupon. Tous les coupons sont vierges, un seul est orné d’un point noir, celui qui sellera le destin de l’un d’entre eux. Les règles sont simples rendant le dénouement encore plus pétrifiant.
Shirley Jackson a écrit cette nouvelle en 1948, publiée dans la foulée dans le New Yorker Magazine, provoquant de nombreux remous et désabonnements. L’auteure a d’ailleurs dû parer aux nombreux courriers de lecteurs scandalisés, perplexes ou curieux et changer de boîte aux lettres au passage. Shirley Jackson est un écrivain d’atmosphère, flirtant avec l’épouvante ordinaire, le fantastique d’ambiance, la terreur insidieuse. La loterie est totalement dans cette lignée, peut-être un cran plus loin, et il y a fort à parier que Shirley Jackson s’est fait un malin plaisir à livrer ce texte, d’autant qu’elle n’a jamais levé le mystère sur son objet.
L’illustrateur Miles Hyman est le petit fils de Shirley Jackson et l’adaptation qu’il a faite du texte original est époustouflante. Il y restitue toute l’effroi véhiculé par l’humain et toute la normalité avec laquelle cela se produit. Il concentre son dessin sur les détails, un geste, un regard, l’attente, avec de nombreux changements de point de vue, le linge qui sèche, les enfants qui se rassemblent, avec de très belles planches qui pourraient se suffire à elles-mêmes, comme des tableaux. Il fait l’économie de mots et place de nombreux silences qui contribuent au côté cérémonial du moment.
L’atmosphère est à la fois tendue et nonchalante. Nous ne savons pas ce qu’ils gagnent ou s’ils y perdent. Les villageois quant à eux sont bien au courant, la loterie est une tradition annuelle, ritualisée. Elle concerne tout le monde, du plus jeune au plus âgé. Ce pourrait presque être un moment de fête, tout l’art de mettre le doigt sur le moment précis où le dérapage est enclenché, sur la capacité des hommes à faire le pire, à côté de chez soi. La corde raide est d’ailleurs le maître mot, et en tant que lecteur on navigue également au beau milieu de sentiments contradictoires, entre le dérangeant et le fascinant.
En annexe, Miles Hyman raconte un peu sa grand-mère, rappelle le contexte de la nouvelle, sa publication, cite des extraits de courriers de l’époque, c’est très instructif et passionnant.
Je ne sais quoi dire pour vous inciter à lire cette BD car elle vaut franchement le détour. Laissez-vous tenter, vraiment, c’est à ne pas rater. Et au plaisir d’en discuter.
Pour ma part, je vais me jeter sur les romans de Shirley Jackson, réédités récemment chez Rivages.
La loterie / Miles Hyman, d’après la nouvelle de Shirley Jackson. Casterman, 2016
Ohlala, ça donne envie. Un peu comme un livre pour les enfants qui fait peur mais qu’on ne peut s’empêcher de lire !!!! Tu sais si je peux trouver cette BD dans ta médiathèque ?
Nous l’avons oui, je te le réserve 😉
Je l’ai lu il y a quelques jours et malheureusement je n’ai pas été plus emballée que ça… j’ai beaucoup aimé les graphismes, beaucoup moins le scénario… cela dit, peut-être que je me laisserais quand même tenté par la nouvelle que je ne connais pas !
Le scenario est effectivement épouvantable… et j’ai l’impression que le traitement de Miles Hyman est fort proche de la nouvelle d’origine. Quite à retenter l’expérience Shirley Jackson, peut-être devrais-tu plutôt choisir ses autres romans ?
Oui peut-être mais j’ai tout de même bien envie de comparer la nouvelle et son adaptation BD 🙂
Alors j’attendrais de lire ton avis 😉
Moi ça me donne bien envie !! Déjà la couverture m’intriguait, mais avec votre article en plus… Je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé en lisant le résumé à la nouvelle de Matheson « le jeu du bouton » et à un roman de SF inquiétant « Les femmes de Stepford » d’Ira Levin… Peut-être l’ambiance inquiétante ?
Ah oui, on retrouve un petit côté Matheson effectivement, dans l’approche, car après nous sommes sur des registres différents. Mais tu me donnes sacrément envie d’en relire du coup 🙂 Je ne connais pas Les femmes de Stepford mais je vais me renseigner bien vite. Merci 🙂