La maison – Emma Becker (Flammarion)

Roman coup de poing, déculotté, féministe, pro-sexe et forcément remarqué dans cette rentrée littéraire.

Emma Becker est autrice et journaliste. Je la découvre et comprend qu’elle flirte avec l’auto-fiction, discipline qui tantôt me hérisse, m’indiffère, me fatigue, et parfois, rarement m’intéresse. Ici, finalement, nous pouvons davantage parler d’auto-reportage.

Ça faisait un moment que Emma Becker s’intéressait à la condition prostituée, et a poussé ses questionnements à son paroxysme en devenant elle-même l’une d’elles. Durant deux ans, elle a exercé le métier dans une maison close de Berlin, où l’entreprise est légale. Elle a poussé la porte d’une première maison, à l’atmosphère peu engageante et d’ailleurs finalement assez peu prisée, y est resté quelques temps, puis elle est entrée à La Maison, celle qui, oui, la rend un brin nostalgique lorsqu’elle y repense.

« Lorsque d’autres yeux que les miens se poseront sur ces lignes, un morceau conséquent de Berlin aura disparu dans une indifférence quasi générale. Ce genre de chose arrive tous les jours, tous les Berlinois font ainsi le deuil d’un ou plusieurs endroits qu’ils pensaient éternels et qui un beau jour s’évaporent. Et la petite rue découverte au hasard d’une balade sans but, parce qu’on cherchait autre chose qu’on a jamais trouvé, aura à jamais cet air de fulgurance qui ne frappe personne d’autre que soi. »

A ses côtés, on passe derrière les portes et les rideaux, découvrons les visages, la mère maquerelle, les collègues, les clients, on prend la température du lieu, les gestions de planning, la disposition des pièces, la préparation des chambres et des corps, on s’invite dans les chambres, aux côtés des réguliers, ceux de passages, des étalons, des timides, des plaintifs, des lourdeaux, des amoureux, des indécis. Emma Becker dévoile l’envers du décor et cette solitude sexuelle plus répandue qu’on ne veut bien l’admettre. Elle pointe l’évidence des besoins, et par-conséquent celle du métier, de la nécessité de ces lieux dédiés, et de l’absurdité de sa négation, encore aujourd’hui.

Le phrasé est littéraire et sans détour. Le sexe est vivant, posé, fouillé, les relations méditées, posant le regard sur de nombreuses questions de sociétés trop souvent éludées, par manque de tolérance, de discernement, par puritanisme, par facilité, par commodité.

Un roman sur les « putes » oui mais avant tout sur les femmes, les hommes, les relations entre elles et eux, et au-delà du coup tiré, les questions pratiques, sociales, juridiques de la prostitution qui, non, n’est pas plus avilissante que nombreux métiers de notre chère ère capitaliste.

« Peut être que le jour où on offrira aux femmes des boulots convenablement payés, elles n’auront plus l’idée de baisser leur culotte pour compléter leurs fins de mois – et le monde ira mieux alors, non ? Ou la morale ? »

Le sujet est polémique et fait jaser, et ce n’est pas nouveau. Le terrain de la légalisation de la prostitution est déjà bien balisé, par la profession, par des associations, et l’on trouve des choses dans la littérature mais pas nécessairement de façon très médiatique. De fait, si ce roman n’est pas parfait, il ouvre des portes, de façon assez fair-play, intimiste et posée. Entendons-nous bien, Emma Becker ne clame pas que c’est génial tous les jours, que c’est simple et hyper fun de s’envoyer en l’air pour un paquet de blé, non. Le roman se situe dans un environnement de maison close et d’escorts, qui ne souffre pas des mêmes problématiques que son exercice clandestin, mafieux et esclavagiste. Emma Becker pose les choses, observe, compare, déduit et raconte.  Ensuite, à chacun de partager son opinion, ou pas.

Un texte dense, pointilleux, qui ne mâche pas ses mots, intéressant à découvrir, quelque soit son positionnement sur la question.

« – Ça m’étonnerait que je sois la seule [ à faire semblant ]. Ce qui vous blesse dans la pute, c’est de savoir qu’elle simule, et que ça vous fasse jouir quand même. »

 

La maison
Emma Becker
Flammarion
Rentrée littéraire 2019
370 pages

1 commentaire sur “La maison – Emma Becker (Flammarion)”

Répondre à noukette Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.