Le Pied de Fumiko – Junichirô Tanizaki

Poursuivons cette semaine de retour aux classiques pimentés avec l’un des maîtres japonais de la nouvelle, Junichirô Tanizaki, connu notamment pour Le Tatouage, entre fétichisme, sadomasochisme et, sans surprise, art du tatouage. Dans ses textes, Junichirô Tanizaki se plaisait à pénétrer au coeur des fantasmes, ce qui lui valu d’être censuré à plusieurs reprises pour des textes considérés comme immoraux ou inconvenants pour l’époque (Tokyo des années 1910-20). Loin d’être échaudé par ses considérations, il s’imposera rapidement comme un maître en la matière et un conteur hors pair.

Avec Le Pied de Fumiko, nous assistons à la rencontre entre un vieux marchand qui se replie à l’écart de sa famille pour profiter pleinement de sa dernière geisha, et un jeune artiste à qui il demande de peindre de manière très particulière le pied de la jeune femme. Il plongera dans cette demande avec un ravissement balbutiant, ébloui par les penchants qu’il partage avec le vieil homme.

« La sensation que j’éprouvais lorsque je sentais le pied d’O-Fumi-san sur mon visage me comblait de bonheur ; moi qu’elle foulait de ses pieds, j’étais plus heureux que le Retraité qui regardait la scène avec ravissement. Je célébrais le pied de la jeune femme à la place du Retraité, lui offrais toutes sortes de jeux pour mieux l’adorer, le diviniser. »

Une nouvelle étonnante et savoureuse qui fait flirter beauté, malaise et amusement, en mettant le paquet jusqu’au dénouement à la hauteur de la fascination décrite. Tanizaki décrit le sentiment de déviance et l’épanouissement qu’elle procure, le plaisir coupable qui trouve son aboutissement. Un texte qui célèbre le fétichisme, la fascination et les passions secrètes.

Dans le deuxième texte, La complainte de la sirène, nous sommes dans une autre forme de passion amoureuse exacerbée, avec cette histoire d’un prince, en Chine, blasé au possible malgré l’étendue de son pouvoir et ses sept concubines, et dont la curiosité va être piquée et le coeur affolé par la proposition d’un marin hollandais, de lui remettre une sirène captive.

« La malédiction des dieux m’a ravalée au rang de poisson vivant sous les eaux, c’est pourquoi, quelle que soit la passion que j’éprouve pour vous, je ne peux que souffrir mille tourments, esclave de mes fantasmes débridés, affolée par les flammes de la concupiscence. Ô prince ! Laissez-moi retourner à ma demeure marine, aidez-moi à échapper à cette honte et à cette détresse. Cachée sous les flots bleus et froids, je parviendrai sûrement à oublier les rigueurs de mon pitoyable destin. Si vous daignez prêter une oreille compatissante à ma demande, alors pour vous remercier, j’exécuterai sous vos yeux une démonstration de mes pouvoirs magiques. »

Ici Tanizuki aborde avec une certaine acidité les relations hommes-femmes, avec une réflexion certaine qui fait rejoindre le mythe de la sirène avec celui de la femme-objet, jouant également sur un parallèle Orient-Occident intéressant.

Les descriptions sont minutieuses, élégantes, l’écriture lie les obsessions au tragique. C’est finalement ce qui me plaît le plus dans la littérature japonaise, une certaine retenue qui s’allie parfaitement à des moeurs qui ne se le sont pas.

Le Pied de Fumiko (1917)
précédé de La Complainte de la sirène (1919)
Junichirô Tanizaki
nouvelles traduites par Madeleine Lévy-Faivre d’Arcier et Jean-Jacques Tschudin
Folio
112 pages

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