Dans un coin paumé du Kentucky, le genre d’endroit où l’on en sort difficilement, où l’on se situe par son nom de famille et où l’on exerce le même métier de père en fils, la famille Sheetmire gère la traversée d’un canal pour le passage d’une rive à l’autre. Un soir, un homme demande à traverser et fait mine de vouloir prendre la caisse. L’altercation dégénère et l’homme ne s’en relève pas. Le jeune Beam appelle son père, qui lui conseille de partir sur le champ, de courir vite et loin, car l’homme est le fils d’un puissant et violent homme d’affaires local, le genre de baron qui ne fait pas dans la dentelle.
« Enfant, Beam avait abattu des écureuils avec son .22 et assommé des poissons-chats au marteau, et il réalisait avec surprise que prendre une vie humaine avait été aussi simple que de tuer ces créatures plus modestes. Mais les gens étaient esclaves de leur fragilité, comme n’importe quel animal. Il suffisait d’une once de force pour envoyer un homme à la tombe, pour l’arracher à ce monde. »
A partir là, on pourrait légitimement s’attendre à une énième histoire de chasse à l’homme. Mais Alex Taylor a de la ressource, et s’évertue à surprendre le lecteur à chaque virage. Ce roman c’est l’inverse du road trip. Nous restons dans le village, sillonnant les routes et les maisons, l’occasion d’en apprendre au fur à et mesure beaucoup sur les personnages, leurs relations, leur passif, leur raison d’être et leurs raisons tout court.
On plonge littéralement dans l’ambiance rurale, noire, tendue, tragique. Le polar rural a le vent en poupe. Ici c’est beaucoup plus qu’un prétexte, c’est très bien fichu, avec une écriture très précise, et très référencée, brillante, et qui touche juste. Un premier roman très prometteur, et l’un des polars les plus intéressants du moment.
Le verger de marbre / Alex Taylor. Gallmeister, Rentrée Littéraire 2016