Les Intranquilles – de Azza Filali

Tunis, Février 2011. Au lendemain de la chute du régime de Ben Ali, les tunisiens avancent à tâtons. Le printemps arabe rend les rues brûlantes, les vies sont en suspends, les esprits en question et l’avenir en chantier.

Abdallah, ancien mineur de Redeyef, arrive tout juste à Tunis. Il vagabonde, vendeur de légumes un jour, gardien de nuit le lendemain. Zeineb est femme au foyer, elle observe l’évolution de son pays et des préoccupations familiales, entre son mari qui a bien profité des largesses de l’ancien régime et sa fille idéaliste, plongée dans la révolution et les élections à venir. Les islamistes Si Larbi et Hamza cherchent à rayonner toujours plus, à l’affût de ceux qui peuvent encore grossir leurs rangs pendant que leur acolyte Hechmi s’interroge sur le bien-fondé de La Cause et sur le sens de sa vie. Parmi toutes ces figures, Latifa apporte réconfort, générosité et bienveillance.

Les personnages s’attachent et se détachent. Chacun tente de trouver de nouveaux repères dans un quotidien bouleversé. Certains travaillent à construire un autre futur, parfois diamétralement opposés les uns des autres, pendant que d’autres méditent sur le passé, sur ce qui a changé, les mœurs qui ont évoluées, entre joies, tristesse et désillusions.

« Abdallah la regarda avec une affection non feinte : « Tu exerces un beau métier. Qui d’autre pourrait offrir à un pauvre bougre des moments où il oublie sa misère et se sent maître du monde ! » Latifa sourit. Le vieux poursuivit, dédaigneux : « Les dévots jouent aux justiciers de Dieu : après les bars, voici qu’ils s’attaquent aux maisons closes. Pas d’alcool, pas de sexe, comment veulent-ils que les gens tiennent ? » Une gravité soudaine lui traversa la voix : « Ils ne savent pas qu’un homme, c’est dur et fragile à la fois ; si on lui interdit ses fragilités, il bascule dans la violence. »

Les portraits se croisent, certaines vestes se retournent, des entreprises ferment, les prix grimpent, l’agitation est partout. Les élections libres se préparent, les islamistes guettent, des têtes se couvrent, le bourrage de crâne est toujours de rigueur. Que faire de cette nouvelle liberté ? Après la dictature, après la révolution, que reste-t-il ? Que choisir, comment reconstruire ?

Azza Filali est médecin et écrivain. A travers cette galerie de personnages, elle dissèque son pays et les sociétés qui le composent. Elle ne juge pas, elle constate, témoigne, non sans humour. Avec une écriture très fluide et imagée, et un sens aigu de la tournure et de la métaphore, elle pose des mots et des visages sur la confusion. Ce n’est pas un livre politique mais véritablement un livre social, même si les deux ne sont bien sûr pas nécessairement éloignés. Le propos est de décrire des individus, des personnalités, afin d’humaniser les retentissements de la révolution sur la vie des tunisiens, entre incertitude et espoir, comme un hommage à tous ces Intranquilles. Un beau roman pour entrer dans la littérature tunisienne.

« Si Monder prit son chéquier et sortit un stylo, pointe en or. Cinq minutes après, Jaafar, rayonnant, quittait le bureau. Près du siège, sur la moquette, traînait son honneur qu’il avait oublié en partant. »

Les Intranquilles / Azza Filali. Editions Elyzad, 2014

Lu dans le cadre de La Voie des Indés, en partenariat avec Libfly et Elyzad. Un grand merci à eux pour cette lecture enrichissante.

Les éditions Elyzad sont une maison d’édition tunisienne fondée en 2005 et basée à Tunis. Elles ont choisi de faire partager les littératures du Sud, vivantes, modernes, qui s’inscrivent dans la diversité. Elles publient en langue française.

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