Les orageuses – Marcia Burnier (Cambourakis)

Premier roman de la magnifique collection Sorcières chez Cambourakis qui publie habituellement des essais soutenant des regards du féminisme résistant et revendicatif, et faisant lumière sur des voix qui expérimentent, disent autrement, et que l’on lit encore peu. Ici un roman qui se place directement dans ce sillage, avec un texte fort sur un sujet tristement presque banal et pourtant encore bâillonné au possible, le viol.

« Meuf, meuf, MEUF respire. Respire comme on t’a appris, ouvre ta cage thoracique, si allez, ouvre-la bien fort. Merde. Prends ton téléphone, allez, prends-le, arrête, mais ARRÊTE de trembler. Voilà, comme ça. Respire on a dit. T’arrête surtout pas de respirer. Regarde pas la traînée sur ton pull, regarde-la pas, on s’en fout si ça partira pas au lavage, au pire tu le jetteras, tu l’aimais même pas ce pull. Ton téléphone. Arrête de pleurer. Appelle. Rappelle. Rappelle encore une fois, elle t’en voudra pas. Tu vois elle décroche, elle est inquiète. »

Mia, Nina, Lucie et les autres, elles se croisent, et se retrouvent, se reconnaissent et s’unissent, autour de l’atteinte qu’elles ont subi, et dont elles ne peuvent se défaire, malgré les injonctions posées comme bienveillantes à passer à autre chose, pour ne pas rester victime. Sauf que les faits restent palpables, que la rage monte et ne demande qu’à s’exprimer, et ces jeunes femmes décident d’entendre cette colère et de la mettre en pratique. Se venger pour ne plus se taire, ne plus laisser les corps violés et les violeurs dans les creux des silences, dire pour responsabiliser et cesser de fuir, pour que celles qui l’ouvrent ne passent plus pour les hystériques de service.

« Ce qu’elles voulaient, c’était des réparations, c’était se sentir moins vides, moins laissées-pour-compte. Elles avaient besoin de faire du bruit, de faire des vagues, que leur douleur retentisse quelque part. Quand elles avaient décidé qu’elles n’étaient plus intéressées par le procès équitable qu’on leur refusait de toute façon, elles s’étaient demandé ce qui poussait ces hommes, quel que soit leur milieu, à vouloir les posséder. Qu’est-ce qui rendait cet acte universel, structurel, et défendu systématiquement par une solidarité masculine sans faille ? C’est bien simple, expliquait Leo, dans n’importe quel groupe, allez accuser un homme de viol et observez les forces à l’œuvre pour que surtout rien ne soit bousculé par cette révélation. »

Alors oui c’est radical et militant, ça semblera peut-être trop, trop fort, trop violent, trop tout, mais le viol et les considérations qui l’entourent gardent la palme, ne nous trompons pas de cible. Marcia Burnier donne à entendre ces colères, à les rejoindre pour pointer ce qui détruit. Coup de coeur pour ce texte coup de poing, fort, pudique et sororal, qui dit les doutes, les maladresses et la douleur qui rendent bancales, et encore plus si on les glisse sous le tapis. J’y ai retrouvé des visages familiers, des discussions qui durent encore, si justement.

« Elle prend le temps de bien les regarder toutes, sorcières mes sœurs, ces vengeresses, pétroleuses, prêtresses, toutes un peu abîmées mais qui ont réussi à se rafistoler comme elles pouvaient. Elle a une bouffée d’amour avant la violence et elle les regarde comme si elle regardait sa famille, Nina, Lila, Inès, Leo et Louise. »

Les orageuses
Marcia Burnier
Cambourakis (Sorcières)
2020
141 pages

2 commentaires sur “Les orageuses – Marcia Burnier (Cambourakis)”

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