Les yeux fumés – Nathalie Sauvagnac (Le Masque)

Philippe n’est pas le préféré de la famille, en tout cas pas de sa mère, qui ne peut plus le voir en peinture, et encore moins depuis qu’il zone dans la maison et larve sans que le moindre changement se profile. Quid de l’oeuf ou la poule, de qui a provoqué le rejet de l’autre, a tiré le premier, de ce qui a rendu ce môme comme ça, toujours est-il qu’il finit par se barrer, rencontre Bruno, hippie zonard aux histoires fabuleuses, se prend dans la tronche la réalité du quartier, de la cité, du béton. Philippe va malgré tout trouver du boulot, rencontrer Mickey, Anne… et tenter d’avancer, à défaut d’autre chose.

« Le lendemain, je n’ai pas bougé de mon canapé, roulé en boule, insensible aux bruits familiaux. Mon bras replié sur l’oreille, j’écoute mon coeur, compte mes pulsations, m’étonne du tic-tac régulier, persuadé que je suis mourrant. La lèvre me fait mal, le ventre aussi. »

Nathalie Sauvagnac signe un roman coup de poing qui reflète ceux dont on parle peu, les « invisibles » des cités, des villes nouvelles, des périphéries, ceux qui montrent peu, ou trop, ou mal, ceux dont on pense volontiers qu’ils n’ont pas grand chose pour eux. Elle leur donne des visages, et la parole, dans un roman noir, cru, rude, car il met le nez dedans, pointant la violence sociale qui les étreint, cette grisaille à perte de vue, le pack du soir pour faire glisser le pas terrible, les rencontres, le pire, le mieux, les éclairs de lucidité, le sentiment d’injustice, et la fragilité, partout, qui peut tout faire sauter.

L’écriture est juste, le contexte saisissant, on est happé dans ce récit mené à la première personne, avide de connaître les choix de cet ado en quête de lui-même, que l’on ne peut comprendre qu’en le connaissant mieux, comme chaque histoire banale de violence sociale et morale qui serait mieux cernée et combattue pour peu que l’on s’y penche un peu avec un minimum d’attention.

« Je ne me souviens pas vraiment de la transition. J’ai des oublis depuis.
Flora. Flora a ouvert sa porte, je crois, j’ai le souvenir de ses bras vers moi et de toutes les larmes que j’ai déversées dans son appartement. J’ai épongé longtemps mon nez dans l’ouverture de sa robe de chambre. Elle a attendu, le temps qu’il a fallu. Elle m’a dit : « Tu restes un peu, mais t’abuses pas. T’iras voir Nénesse au Casino. Il connaît tout le monde, Nénesse. »
Elle m’a laissé le temps de m’essorer. Combien de temps ? Pas mal, au final… J’ai des oublis. »

Les yeux fumés
Nathalie Sauvagnac
Le Masque
240 pages
Rentrée littéraire 2019

2 commentaires sur “Les yeux fumés – Nathalie Sauvagnac (Le Masque)”

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