Ma cruauté – François Bégaudeau (Verticales)

Quel ne fût pas mon étonnement lorsqu’un certain dimanche soir, vers 20h30, écoutant la radio tranquillement chez moi, j’ai du ouïr un monceau d’immondices que l’on déversait sur le dernier livre de François Bégaudeau. On lui reprochait essentiellement son écriture maniérée, on lui reprochait sa complexité philosophique, on lui reprochait de ne pas être clair sur ses positions, et enfin on lui reprochait de « Faire le malin » mais on disait surtout aux bons bourgeois derrière leurs postes de radio: « N’achetez pas le livre de ce Zazou !!! ».

Mais Pourquoi tant de haine ?

Bégaudeau, en bon Punk à singe, arrive toujours à contenir les objections de ses opposants de sorte à ce que finalement celles-ci ne fassent qu’accentuer la pertinence de ses arguments à lui, et renforcer la démonstration de leur bêtise à eux.

Ainsi les critiques du Masque et la plume ont tout compris !

Le style du livre est certes maniéré, on peut dire cela, sophistiqué serait un mot plus juste. Bégaudeau soigne ses phrases, enroule ses énoncés, ampoule ses propos. Mais c’est à bon escient, puisque son texte est un monologue délivré par un universitaire trentenaire féru des lettres du dix-huitième siècle français. Il y a donc juste adéquation entre le fond et la forme, c’est aussi simple que cela.

Ok, un style sophistiqué mais pour quoi faire ?

Le propos du livre est complexe. Et toute l’astuce de son auteur c’est de nous faire passer du Sade, du Nietzsche ou du Molière, entre autres, mais sans absolument jamais les nommer.

Donc on a une certaine complexité mais qui est le reflet d’une ambition d’établir une généalogie de la morale par temps de Metoo, et le contrat est rempli.

L’ouvrage nous fait sécréter une certaine quantité de jus de crâne sans avoir à verser une goutte de transpiration, c’est absolument brillant !

Quant à la clarté des positions de Bégaudeau, ce n’est certes pas évident, mais qu’importe ! Il nous donne un matériau et c’est à nous de faire le travail. Là encore, c’est une réussite absolue, son opinion est présente pour qui connaît l’individu, mais pas prépondérante comme chez certains écrivains contemporains.

On en vient donc à ce reproche final : Bégaudeau fait-il le malin ?

Il ne fait pas le malin. Il est malin. Lire et assimiler un livre de Bégaudeau pour un glandu de seconde zone comme moi c’est l’assurance d’aller explorer des terrains de pensée qui ne ne relèvent pas vraiment du champ culturel auquel je suis confiné. Et de fait je peux envisager ces perspectives en toute liberté.

On pourrait dire que ce livre a, à son échelle un effet émancipateur sur l’esprit de ses lecteurs.

De là découle la réponse à notre problématique, les hauts dignitaires du bon goût et de l’intelligentsia germanopratine, fleurons intellectuels de la bourgeoisie française qui le dimanche soir répandent pendant une heure leur fiel dans les esgourdes des demi-habiles fascinés, n’ont absolument aucun intérêt à promouvoir un livre qui aiderait lesdits demi-habiles à penser la question de la domination par eux-mêmes.

CQFD….

Néanmoins allez savoir quelle idée m’a pris d’aller écouter France Inter un dimanche soir à 20h.

Trêve de complainte et de plaidoyer, je vais maintenant essayer de glisser quelques mots plus personnels sur mon ressenti à la lecture de cet  objet.

Je ne me lancerai pas dans un résumé de l’intrigue, qui de facto, gâcherait le plaisir de la découverte. Dire qu’il s’agit du monologue d’un universitaire, qui va passer par les points d’achoppement de la pensée Bégaudienne en donnant de la matière à la réflexion suffira amplement.

Il faut un temps de chauffe de quelques pages pour suivre les figures que Bégaudeau fait avec la langue française. Mais cette écriture bien que complexe est un parfait véhicule pour faire ressentir les choses de manière appropriée.

On peut faire le choix de décrypter le texte, ce qui révélera une substance abondante, mais on peut aussi apprécier l’art du contre-pied et tout simplement jouir de se retrouver face à ses propres contradictions au terme d’un paragraphe.

Ses personnages de jeunes, d’universitaires, sont criants de vérité et tout ce petit monde évolue dans des situations cocasses et jubilatoires dont on se régalera.

Et la fin du roman est une fin à la Bégaudeau chimiquement pure. Il dissout complètement l’intrigue dans le texte pour distiller des pages de poésie débridée qui sont un concentré de littérature.

Combien y-a-t-il aujourd’hui d’auteurs qui jouent avec la matière littéraire appliquant un tel talent, qui ont un regard aussi véridique sur le monde, et une connaissance si approfondie de la littérature ?

Il y en a trop peu. C’est pourquoi c’est un tel scandale de laisser des pseudos critiques éreinter ce livre.

MAJ : Ma cruauté, est finalement un objet qui semble intéresser Radio France sérieusement puisqu’il a été mis au programme de la Grande Table Critique de France Culture, pour se faire dézinguer de la même façon par un critique littéraire des Echos. Les Echos journal spécialisé dans la littérature donc. Attitude qui tend à démontrer le potentiel subversif du livre en question. Néanmoins Lucile Commeaux qui animait le débat semble en avoir fait une lecture attentive et intelligente. Elle est bien la seule sur le service public.

Ma cruauté

François Bégaudeau

Verticales

320 pages

1 commentaire sur “Ma cruauté – François Bégaudeau (Verticales)”

  1. Ah quelqu’un qui écoute (encore) le Masque et la plume et ose aller contre leur critique. Ce retour donne d’autant plus envie de lire Ma cruauté que de se laisser porter par le propos lui-même. Un bon moment de lecture en attendant la lecture du livre, merci

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