Les Marguerite sont à l’honneur ce mois-ci pour le retour aux classiques qui clôturera bientôt sa deuxième saison avec un panache à toute épreuve. Duras vs Yourcenar, quelle sera donc l’issue du duel ?
De Duras j’ai effleuré L’Amant et La Douleur, c’est revenu en me replongeant dans mes souvenirs, assez maigres à vrai dire car seul un ennui profond était resté en surface. Mais comme je suis fairplay, je redonne sa chance à la mère Duras avec ce titre dont la forme, déjà, a suscité un sursaut d’intérêt.
« On appelle tout à coup dans l’hôtel. On ne sait pas qui.
On crie un nom d’une sonorité insolite, troublante, faite d’une voyelle pleurée et prolongée d’un a de l’Orient et de son tremblement entre les parois vitreuses de consonnes méconnaissables, d’un t par exemple ou d’un l.
La voix qui crie est si claire et si haute que les gens s’arrêtent de parler et attendent comme une explication qui ne viendra pas.Peu après le cri, par cette porte que la femme regarde, celle des étages de l’hôtel, un jeune étranger vient d’entrer dans le hall. Un jeune étranger aux yeux bleus cheveux noirs.
Le jeune étranger rejoint la jeune femme. Comme elle, il est jeune. Il est grand comme elle, comme elle il est blanc. Il s’arrête. C’était elle qu’il avait perdue. La lumière réverbérée de la terrasse fait que ses yeux sont effrayants d’être bleus. Quand il s’approche d’elle, on s’aperçoit qu’il est plein de la joie de l’avoir retrouvée, et dans le désespoir d’avoir encore à la perdre. Il a le teint blanc des amants. Les cheveux noirs. Il pleure. »
Les yeux bleus, cheveux noirs, une histoire d’amour déjà, on pouvait s’en douter, et en sauce Marguerite Duras, on est adepte ou pas. In fine plus que d’amour il s’agit davantage de désir, et d’un certain désespoir, à en devenir fou.
Une histoire croisée d’amants qui se mue en huis clos inassouvi en bord de mer, l’ombre planante d’un étranger aperçu auparavant, aux yeux bleus et cheveux noirs, l’histoire de cette apparition qui restera furtive et frustrante, d’un homme qui ne veut que le revoir et qui a défaut, demande à une femme en qui il entraperçoit ce souvenir, de venir dormir nue avec un foulard de soie noire, dans sa maison en bord de mer, moyennant finances. Ce qu’elle accepte, mais la passion est impossible, car celui qu’il désire ardemment reste absent. Alors le désir se tend, s’étire, se mue. Triangle amoureux, désirs déçus, tension sensuelle en suspend… c’est bien mené, l’écriture y fait, je me suis même surprise à plutôt l’apprécier, mais ça reste tout de même un peu longuet. Et pourtant c’est court. Peut-être un peu trop froid, détaché, oserais-je surfait, Duras quoi ? (je ne brillerai à l’évidence pas par mon analyse littéraire dans cette chronique…)
« Elle aime beaucoup la mer, surtout cette plage. Ici, elle n’a pas de maison. Elle vit dans un hôtel. Elle préfère. L’été, c’est mieux. Pour le ménage, les petits déjeuners, les amants. »
Il semblerait que ce roman soit un genre de remake de La maladie de la mort paru quatre ans plus tôt et adapté à plusieurs reprises au théâtre et au cinéma, à moins que Marguerite Duras ait voulut donner plusieurs angles à une même histoire, résonnant également avec son propre vécu, l’homosexualité obscurcissant la passion convoitée.
Des retrouvailles en demi-teinte donc, j’y retournerais très certainement car Les Parleuses reste dans ma pile, et que ce rendez-vous classique m’a déjà donné l’envie d’en ouvrir un autre. A suivre donc.
« Dans cette maison au bord de la mer, vous êtes perdu comme un peuple sans descendance. Dans ce café, j’ai vu que vous souhaitiez avoir cette renommée, ce statut, je suis restée avec vous dans un moment de ma vie – au coeur de ma jeunesse – où j’étais comme si ce peuple égaré était aussi le mien. »
Les yeux bleus cheveux noirs
Marguerite Duras
Editions de Minuit
1986
151 pages
Retrouvez les autres titres de la battle Duras vs Yourcenar ici ou là.
Prochain rdv fin avril autour du thème Un siècle à l’honneur…
Si vous souhaitez en savoir plus, voire même rejoindre (régulièrement ou ponctuellement) l’équipée, c’est par là.
Tu n’as pas aimé La Douleur ?
Duras divise ce mois-ci… Tu te placerais dans les anti ou dans les pro ?
En vrai je n’en ai pas vraiment de souvenir, juste que j’étais complètement passée à côté, mais je vais retenter, après avoir lu ta chronique je ne peux pas faire autrement !
Jamais tenté Duras. A lire des chroniques mais même des extraits, j’ai toujours eu l’à prioiri que c’était de la littérature poussée à l’extrême. Donc oui phénomène formel, mais finalement qu’est-ce qui passe à travers cet objet déclamatif ? Ça m’a toujours laissé perplexe. Mais les à priori sont faits pour être renversés….
Je ne connais ce roman que de nom, mais je dois dire que ton avis ne me pousse pas à en faire une priorité… J’ai aimé certains de ses textes (et j’ai aimé ma relecture de L’amant le mois dernier), mais d’autres m’ont laissée de marbre : c’est une autrice avec qui rien n’est joué d’avance, j’ai l’impression !