Un roman à l’écriture atypique et entêtante qui prend la forme d’un conte baroque, distillant de la philosophie, et de la poésie gothique. Une expérience vraiment sympathique et une des très bonnes surprises de cette rentrée.
Parmi les romans très visibles cet automne, il en est un qui l’est peut être un petit peu moins et pourtant. Décrit par Camille Bordas et Adam Levin comme le meilleur roman qu’ils aient lu en 2019, Le ciel les yeux fermés de Adam Ehrlich Sachs est à la hauteur de sa réputation.
C’est un conte, une histoire qui nous est narrée par Leibniz le philosophe et mathématicien allemand pré-lumières. Il rapporte son expérience : il se serait rendu dans des contrées froides et reculées pour y rencontrer un astronome qui prédisait une éclipse solaire pourtant pas prévue par ses paires les plus renommés à cette époque.
Arrivé sur place il constate que ledit astronome a en fait deux trous à la place des yeux. Sceptique quant à la véracité de sa prédiction, Leibniz attend avec le scientifique l’heure fatidique de l’obscurité pendant que celui-ci lui raconte son histoire.
Cette histoire est pleine de compartiments qui s’ouvrent sur des épisodes ayant eu lieu à la cour du fantasque Rudolf II de Habsbourg, le souverain européen qui fût passionné de sciences et d’ésotérisme et qui permit l’essor du progrès autant que la prospérité d’un certain charlatanisme.
J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre, qui n’est pas très long et par exemple adapté au temps d’un week-end.
Il faut se laisser happer par cette écriture vraiment exceptionnelle. Les phrases sont comme des engrenages qui s’imbriquent les uns dans les autres et font fonctionner le récit à la manière d’un automate dont on tournerait la manivelle au fil de la lecture. Ainsi nous sont dispensées, après plusieurs tours, les résolutions des énigmes de plus en plus englobantes qui se posent au départ.
De cette façon l’écriture nous rentre dans la tête, sans que ce soit désagréable et elle illustre complètement cette atmosphère particulière de l’époque, dans laquelle les lumières avançaient à petits pas.
On peut admirer la structure de cette machinerie, mais on peut aussi se laisser aller au cours du récit, et au fur et à mesure des tiroirs et des boîtes s’ouvrent, même souvent sans qu’ont l’ait prévu.
C’est un des points forts de ce roman, il n’est en rien prévisible, l’auteur nous prend sans cesse à contre-pieds, ce qui fait qu’à partir d’un certain moment on essaie plus de deviner la suite et on avance « les yeux fermés ».
Respectant à la perfection la mécanique syntaxique, Sachs va même jusqu’à abuser d’une certaine rigueur, d’où naît un effet poétique. Et c’est ce qui reste de ce livre, une impression de grande poésie, qui convoque des images mélancoliques et gothiques.
Les références qui me viennent sont Kafka, pour le côté est-européen et absurde, mais j’ai également pensé à Edward Carey, auteur plus récent, bien que ce livre soit nettement plus complexe et réussi dans l’écriture.
Une lecture à côté de laquelle il serait dommage de passer. La traduction de Claro, maître en la matière, me semble impeccable (même si bien sûr je n’ai pas lu la version originale). Un de ces livres atypiques mais néanmoins très accessibles comme en produisent régulièrement les éditions Inculte.
Ma grande recommandation de cette rentrée.
Le ciel les yeux fermés
Adam Erhlich Sachs
Editions Inculte
288p
Autant dire que tu éveilles ma curiosité. Et tu es la première à le recommander.