Deux disparitions, survenues à des années d’écart et à des lieux opposés. Deux histoires qui n’ont de semblable que les manques qu’elles laissent et les traces que l’on cherche encore pour tenter d’ébaucher un deuil. L’une a perdu un ami presque frère à l’âge de douze ans, l’autre crève de ne plus revoir sa fille évaporée en rentrant de l’école. L’une va retrouver le village de son enfance et le bois aux souvenirs restés douloureux, l’autre va le découvrir, tenter de se nicher à l’écart comme il peut, avec ce vide au creux du bide qui ne lui inspirera jamais plus aucune sérénité. Des histoires croisées, qui vont violemment retentir de plus belle.
« J’étais l’étranger, le type bizarre qui avait récemment emménagé dans l’ancienne maison d’un type nommé Lucien Ménard, « Entretien de pelouses en tous genres », qui avait passé sa vie à essayer de tuer des pissenlits qu’il combattait aujourd’hui par la racine, comme quoi les obsessions ont la couenne dure. Si les gens se montraient polis en ma présence, j’entendais leurs chuchotements dans mon dos chaque fois que je refermais la porte de la quincaillerie ou de l’épicerie. La rumeur qui s’élevait des petits conciliabules réunissant deux ou trois clientes devant le comptoir à viande de Max le boucher n’avait rien à voir avec mon sex-appeal ni avec le désir de l’une d’entre elles de m’attraper au lasso pour me traîner dans son lit. C’était la rumeur excitée de la méfiance, qui me collerait au cul jusqu’à ce que je marie une fille de la place, éclaireuse ou kamikaze qui témoignerait de mon innocence en achetant sa saucisse. »
Quel plaisir de retrouver la plume de Andrée A. Michaud ! Quelques mois après sa découverte avec Bondrée, j’en garde un souvenir fort et précieux. Ce nouveau roman ne dénote pas. On retrouve son style très littéraire, ses ambiances si particulières qui puisent autant dans la nature environnante que dans l’humain. Cette fois on remonte sur la carte, dans un coin boisé à l’énigmatique nom de Rivière-aux-Trembles. L’écriture est un peu différente, moins couleur locale, mais tout aussi riche, sensible et délectable, et l’on ressent la même verve imagée québécoise avec cet humour aux entournures.
L’auteure explore de nouveau des thèmes de l’enfance, des disparitions, le poids du passé, la marque des lieux. Andrée A. Michaud n’offre pas un classique thriller où l’on doit retrouver le coupable, mais tellement plus. Un roman noir dramatique, qui touche au manque, à l’être cher qui ne réapparaîtra sans doute pas, sur la vie d’après, les doutes qui ne tranquillisent jamais, le gouffre à portée de tout, à chaque coin de pensée. C’est sublime et bouleversant, l’une des pépites de cette rentrée.
Rivière tremblante
Andrée A. Michaud
Editions Rivages
365 p.
Rentrée littéraire 2018
Un grand merci à Léa et son chaleureux Picabo River Book Club pour cette lecture
rien que pour le dépaysement, pourquoi pas!