Solénoïde – Mircea Cartarescu (Noir sur Blanc)

Un roman génial, labyrinthique, angoissant, exaltant, qui interroge la folie et la réalité pour aboutir à des rêves métaphysiques.

C’est LE roman de 2019, ce Solénoïde qui nous parvient en cette rentrée , traduction de l’auteur roumain Mircea Cartarescu, et publié aux éditions Noir sur Blanc.

Attention, c’est un pavé, il compte quand même 800 pages. Et c’est le genre de livre exigeant qui nécessite de prendre une petite semaine de RTT pour explorer ses profondeurs et reprendre son souffle une fois revenu à la surface.

Une lecture tranquille et très fragmentée aurait moins d’intérêt et le rendrait assez compliqué à suivre.

Mais de quoi s’agit-il ?

Le livre est ancré à Bucarest, dite la ville la plus mélancolique du monde, terne et délabrée comme une ancienne métropole du bloc de l’est.

Le personnage central est un professeur de roumain, qui officie dans une école banale, l’école 86 et qui vit dans une maison en forme de bateau aux abords du centre de la ville.

Il a la particularité d’être un écrivain rejeté. Il s’est adonné à la poésie dans sa jeunesse mais n’a pas réussi à impressionner les cercles littéraires qu’il a fréquentés. Depuis il ne parvient pas à concrétiser ses idées romanesques. Alors il entreprend la rédaction d’un journal dans lequel il consigne différentes choses. Ses expériences médicales lors de son enfance, son quotidien de professeur de collège et surtout ses expériences hallucinatoires lors de ses errances dans la ville ou dans ses rêves.

Ainsi le livre suit des sinusoïdes, les chapitres commencent comme des récits, d’enfance, ou de moments de classe, puis on monte petit à petit vers les cieux dans des expériences de pensées, des hallucinations ou des rêves éveillés qui nous emmènent au confins de la réalité, aux limites de la vie ou de la mort.

L’ambiance est souvent cauchemardesque, avec des fantasmes entomologiques angoissants, ou des expériences médicales sordides. On explore les domaines de la thanatologie, qui nous conduisent aux visions de Nicolae Minovici. On fréquente une secte d’illuminés qui se réunissent dans les cimetières pour refuser la mort et la conjurer. On est confronté à des énigmes mathématiques qui nous entraînent vers la quatrième dimension et les expériences de pensée de Charles Hinton.

L’auteur de ce journal adopte un questionnement paranoïaque, pour lui la vie entière est une énigme dont il veut à tout prix percer le secret.

Il se construit des représentations oniriques pour répondre à ses interrogations métaphysiques.

Cela donne un livre d’une profondeur abyssale et d’une beauté sombre extrême.

La prose de Cartarescu est d’une grande poésie, il convoques des images évocatrices dans une douceur et une fluidité absolues. Au début de la lecture j’ai pris beaucoup de plaisir à faire rouler les phrases dans ma tête et à me délecter de leur écho.

Je me suis même rapidement dit qu’un livre d’une telle beauté serait forcément trop court (malgré la masse que je tenais entre les mains).

EXTRAIT :

« Tu veux écrire sur ta vie et tu n’écris toujours que sur la littérature. C’est une malédiction, une Fata Morgana, une manière de falsifier le simple fait que tu vis, vrai dans un monde vrai. Tu multiplies les mondes quand ton propre monde serait suffisant pour remplir des milliards de vies. A chaque page que tu écris, la pression du gigantesque édifice littéraire croît au-dessus de toi, contraint ta main à des gestes que tu ne voudrais pas faire, t’oblige à rester dans le plan de la page alors que tu aurais envie peut-être de transpercer le papier et d’écrire à la perpendiculaire de sa surface, […].Comment sortir de ton propre crâne en peignant une porte sur la surface intérieure de l’os du front, lisse et ambré ? »

C’est aussi un livre qui convoque les grands classiques de l’onirisme, de la noirceur et de l’absurde. On est en présence de Kafka, Borgès, Dante ou Swift qui auréolent le récit de leurs bienveillances mystiques.

Au final, le roman est un labyrinthe dont les redondances et les énigmes ouvrent sur des interprétations infinies, un objet littéraire qu’il est difficile de comparer. Ces dernières années l’ouvrage le plus proche est certainement le Jérusalem d’Alan Moore.Mais on est bien au dessus en terme de complexité et de profondeur.Plus qu’un simple livre une vraie expérience comme seule la littérature sait en procurer .

Et ça vaut vraiment le coup.

Solénoïde

Mircea Cartarescu

Noir sur blanc

2019

795 pages

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