Un printemps à Tchernobyl

« Cette pluie tiède d’avril… les gouttes roulaient comme du mercure. On dit que radiation n’a pas de couleur, mais les flaques étaient vertes ou jaunes, fluorescentes. »

En 2008, sous l’impulsion d’une association antinucléaire et des Dessin’acteurs (association de promotion du dessin militant), le scénariste et dessinateur de BD Emmanuel Lepage décide de participer à une résidence d’artiste à Tchernobyl.

Ce voyage aux allures d’expédition est aussi l’occasion pour le dessinateur de se remémorer ses propres souvenirs de la catastrophe. Emmanuel Lepage avait 20 ans lors de l’explosion en 1986. Dans un premier temps, il revient ainsi sur les communications médiatiques aberrantes de l’époque, les données chiffrées qui filtrent à peine encore aujourd’hui et qui gonflent toujours de façon exponentielle, les associations qui contestent sans cesse et sans faillir.

« Une catastrophe nucléaire c’est aussi toute l’économie d’une vaste région qui s’effondre.
Qui boirait d’un lait de vaches paissant près de la centrale ? Qui pétrirait de la farine « made in Tchernobyl » ? »

Il nous fait également partager la préparation de ce voyage particulier, la mise en condition, les doutes. Les réactions de son corps, ses mains qui s’engourdissent et n’arrivent plus à tenir un crayon. Et puis l’arrivée sur les lieux, les rencontres avec les gens qui sont restés sur place, les liquidateurs qui tentent de contenir le pire, nettoient encore et toujours et du même coup se prennent en pleine poire les radiations. Beaucoup sont morts. D’autres sont toujours vivants et ne peuvent toujours pas se résoudre à quitter cet endroit devenu un no man’s land radioactif.

MEP_PRINTEMPS_TCHERNOBYL.qxd:Mise en page 1« Cette évacuation ne devait être que provisoire, deux ou trois jours avait-on promis. Elle sera définitive. »

Puis nous entrons dans le coeur du périple, transportés au travers de paysages fantomatiques, villes laissées à l’abandon du jour au lendemain, qui confèrent une ambiance post-apocalyptique. Nous sommes finalement en plein dedans et nous ne sommes pas dans un film de science-fiction, juste à quelques milliers de kilomètres. La grande roue qui devait être inaugurée le 1er mai 1986 est toujours là, elle n’aura jamais fonctionné. Ces vues font froid dans le dos.

« Je dessine protégé par des gants en plastique. La sensation diffère. Moins charnelle, moins sensuelle. »

Et puis au cours du voyage, la grisaille des dessins d’Emmanuel Lepage revêt quelques couleurs. Dans la forêt, la nature a repris ses droits et il règne un calme magique dans un cadre magnifique, dénué de toute trace humaine. L’auteur fait part de ses cas de conscience, du devoir de mémoire qu’il est délicat de bafouer en montrant des paysages magnifiques alors qu’ils illustrent morts, maladies et déformations. Mais la beauté des forêts luxuriantes n’efface pas le passé, qui règne dans les mousses et lichens. Les combinaisons et masques font aussi office de rappel au pourquoi du comment. Il n’y a pas de leurre possible.

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« Nous devons éviter de marcher sur les mousses et les lichens gorgés de radionucléides. Cela nous oblige à des zigzag incongrus. »

Une BD époustouflante, poignante et glaçante, à diffuser et à partager.

Un printemps à Tchernobyl / Emmanuel Lepage. Futuropolis (2012)

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Sur le même sujet, du même auteur, à découvrir aussi Les fleurs de Tchernobyl : carnet de voyage en terre irradiée / Emmanuel Lepage et Gilles Chasseboeuf (qui a également participé au voyage). Editions La Boîte à Bulles

Et pour ceux qui apprécient le documentaire en Bd et le trait d’Emmanuel Lepage : Voyages aux îles de la Désolation. Futuropolis (2011), sur les terres australes et antarctiques.

2 commentaires sur “Un printemps à Tchernobyl”

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