Une bête au paradis – Cécile Coulon (L’Iconoclaste)

Le dernier Cécile Coulon en fait couler de l’encre. Je ne serai pour ma part pas très originale, j’ai beaucoup, beaucoup aimé. Peut-être moins celui-ci que d’autres, mais je ressors encore une fois bluffée, tourneboulée, frappée, par l’immensité brute dans laquelle Cécile Coulon arrive à me faire plonger.

Nous retrouvons dans ce nouveau roman ce qui lui tient à coeur, la condition humaine, le lien filial, la passion amoureuse, le rapport à la terre, la ruralité et les mutations flottantes.

« Le Paradis était un endroit maudit tenu par un ange au visage aussi creux qu’une gamelle, aux épaules un peu basses, à la poitrine trop large pour ce corps ramassé. »

Le Paradis, c’est la ferme d’Emilienne, qu’elle tient d’une main de fer avec dans son sillage un commis qui fait partie des murs, et Blanche et Gabriel, les deux petits-enfants que le tragique a poussé là. Le temps a passé et Emilienne a pris de l’âge et même s’il est encore tôt pour penser à la suite, il est évident que Blanche se glissera dans ses pas, tant la jeune fille semble viscéralement attachée à la terre familiale. Un projet de vie somme toute balèze, difficilement conciliable avec une passion amoureuse dévorante, qui plus est avec un type ambitieux taillé pour la ville et les affaires.

« Émilienne ressemblait à ce que la terre avait fait d’elle : un arbre fort aux branches tordues. « 

Bon, dit comme ça, je peux comprendre que l’on pense à du terroir assez classique, d’ailleurs Libération qui a récemment révélé son plaisir coupable pour le genre s’est penché sur la comparaison sans pour autant y trouver son compte, et pour le coup, la vie des gens du cru, romance sur fond de blés fauchés, assurément nous n’y sommes pas… Car Cécile Coulon y ajoute les tripes, et un sens du racontage qui happe à ne pas lâcher. Avec un sens du phrasé, qui vise l’économie de mots pour privilégier ceux qui en disent long, elle signe une fois de plus un texte fort, intime, puissant.

« Protégée par les palissades du Paradis, Blanche se préparait, à quoi exactement elle n’en était pas certaine, mais elle se préparait. Son corps était tendu, une branche semblait pousser à l’intérieur, elle avançait telle une machine, si droite, si précise, effrayante d’énergie froide, de ruminations, de rage contenue. »

Une poigne littéraire qui souligne l’amertume, la vengeance, la médiocrité, la mélancolie, le poids d’une histoire sur les corps. Les personnages sont attachants, fouillés, ambivalents, tortueux, dans un huis-clos à ciel ouvert qui prend des allures de fresque avec un final qui tient en haleine de façon surprenante.

« Louis aurait adoré avoir Blanche pour sœur. Il l’aurait protégée, aimée, sans aucun doute grondée aussi, mais leur lien aurait été clair. Il en aurait compris les limites, les rives à ne pas franchir, les rivières dans lesquelles les garçons n’ont pas le droit de se baigner. »

Un très bon cru ce Coulon 2019 en somme. Intense et surprenant.

Une bête au paradis
Cécile Coulon
Editions L’Iconoclaste
Rentrée littéraire 2019
345 pages

« Gabriel grandit tordu. Gentil, mais d’une gentillesse obligée, une gentillesse de celui qui ne sait rien faire que penser à ceux qui devraient être là mais ne sont pas là, une gentillesse qui signifie « ne me faites pas de mal, je suis déjà griffé ». »

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