C’est un petit livre au sens physique, dans une belle édition chez Actes Sud, avec son papier jauni doux au toucher, à côté duquel il serait dommage de passer lors de cette rentrée de janvier, tant il s’agit d’une claque d’une belle ampleur.
Eric Vuillard, qui avait reçu le prix Goncourt pour son livre L’ordre du jour, revient ici faire un récit de moments choisis autour de la guerre d’Indochine.
Il commence par planter le décor de la vie coloniale française en Asie, relatant des faits de maltraitance et d’esclavagisme caractérisés par des observations de l’inspection du travail du début du siècle précédent.
Tout cela est vite relié à la situation économique de l’époque où le Capital était déjà obscène et absolument prépondérant en France.
Puis tout au long du livre il va tisser la toile des implications, nommant explicitement des responsables emblématiques, lors de scènes dont il est le spécialiste, ces scènes banales en haut lieu au cours desquelles des êtres humains comme les autres tiennent le destin du monde dans leurs mains.
On suit comme cela les différentes étapes de la destruction d’un pays, la saignée de 4 millions de morts dans une population lors d’un conflit étalé sur 30 ans, et dont le seul vainqueur désigné sera ledit Capital.
Ainsi exposé on pourrait craindre un objet littéraire pathétique. Mais il n’en est rien, j’ai vraiment été complètement fasciné par le brio de la forme. Entre name dropping et regard aiguisé, le récit est vraiment d’une efficacité et d’une pertinence totales.
Le texte de Vuillard tranche vraiment dans le vif, rien de superflu, chaque phrase porte. Cela n’empêchant pas une maîtrise stylistique parfaite avec des touches de lyrisme qui suscitent de l’émotion quand cela est nécessaire ou des phrases ambiguës qui tracent des traits d’humour soulignant le grotesque des gouvernants à d’autres moments.
Et ne perdons pas de vue que tout cela est du récit, étayé par un côté factuel, Vuillard fait donc évoluer ses personnages dans le théâtre des faits et met ainsi en évidence cet aspect de la comédie humaine qui veut que les personnes en position de domination, dépouillés de leurs masques et des mythes qui les tiennent debout, n’ont rien, mais vraiment rien de plus que vous et moi.
Ne vous fiez donc pas à l’aspect mince du livre, lorsqu’on le déplie une véritable vision du monde prend forme qui redéfinit à l’aune de la réalité les notions de justice, d’Histoire et de vérité.
Une lecture sérieuse peut se faire sur une journée calme, c’est ce que je vous recommande, et cela vous entraînera dans des réflexions profondes sur notre monde qui dureront bien au-delà.
Je connaissais peu l’œuvre d’Eric Vuillard mais je vais m’y intéresser de plus en plus sérieusement car il semble qu’il ait trouvé une forme coup de poing qui interroge, bouleverse et réveille, et qu’il soit allé explorer plusieurs zones d’ombres de ces Histoires sur lesquelles sont juchés les dominants et leurs abjections.
Une sortie Honorable
Eric Vuillard
Actes Sud
208 pages
J’avais adoré L’ordre du jour et lu par la suite Tristesse de la terre, tout aussi passionnant. Celui-ci est dans ma PAL, je devrais le lire rapidement. ses lives se dévorent!
L’ordre du jour est génial également.
Bonsoir Rodolphe, j’ai aimé cet ouvrage même s’il m’a moins marqué que L’ordre du jour. Sinon, j’aime beaucoup l’écriture de Vuillard qui va à l’essentiel. Pas de longues descriptions inutiles. Bonne soirée.
Coucou ! Je n’ai jamais lu Eric Vuillard, je suis totalement passée à côté, mais tout récemment un copain m’a dit que, connaissant mes goûts, je pourrais aimer ! Je note donc cet auteur dans ma liste ! Tu me conseilles de commencer par lequel ? L’Ordre du jour ?
Hello ! Si tu es bien l’autrice de Bibliolingus, au vu des publications (très sympa) dudit blog, je pense en effet que tu devrais essayer Vuillard. Tu peux tenter n’importe lequel, il a également écrit sur les colonisations européennes et américaines mais je crois qu’à partir de L’ordre du jour, il a trouvé sa forme. Une sortie honorable est de cette mouture et résonne vraiment avec l’actualité. Bonne lecture !
Coucou ! Merci pour ton retour ! En effet, les sujets de Vuillard entrent carrément en résonance avec mon blog ! Mais mercredi à la bibliothèque je ne les ai pas trouvés au rayon histoire, ils étaient peut-être tous empruntés ou bien je n’ai pas regardé au bon endroit. Ce n’est que partie remise !!