Dans les rues de Londres + Une chambre à soi – Virginia Woolf

Un mois consacré à Virginia Woolf pour le retour aux classiques joyeusement impulsé par Moka et Fanny.
Une autrice que j’avais déjà parcourue en partie sans jamais m’y pencher vraiment, toujours avec le projet de m’y mettre. Bilan, des extraits ou des nouvelles, c’est bien…

« Le vrai moi est-il celui-ci debout sur le trottoir en janvier ou celui-là penché au balcon en juin ? Suis-je ici ou suis-je là ? Ou le vrai moi n’est-il ni celui-ci ni celui-là, ni ici ni là, mais une chose si diverse et errante que ce n’est qu’en donnant libre cours à ses souhaits et en le laissant aller son chemin sans entraves que nous sommes en effet nous-mêmes ? »

Dans les rues de Londres est une nouvelle parue à la base la Yale Review en 1927, avant d’être éditée sous forme de livre puis de recueil.Virginia Woolf raconte comment, prenant le prétexte de devoir s’acheter un nouveau crayon de papier un soir d’hiver, elle sillonne les rues de Londres sans plus de but que de se laisser porter au fil des échoppes, rencontres, souvenirs, pensées, qui se croisent et s’interpellent.

« Il y a toujours un espoir, lorsque nous descendons du haut d’une étagère un livre blanc gris, attirés par son air loqueteux et abandonné, de faire ici la connaissance d’un homme parti explorer à cheval voilà plus de cent ans le marché de la laine dans les Midlands et au Pays de Galles ; un voyageur inconnu, qui s’arrêtait dans les auberges, buvait sa pinte, remarquait les jolies filles et les coutumes sérieuses, consignait le tout rigoureusement, laborieusement, pour son plaisir (le livre fut publié à ses frais) ; qui était infiniment verbeux, affairé et terre à terre, et laissa donc affluer à son insu l’odeur des roses trémières et du foin en même temps qu’un portrait de lui-même qui lui assure à jamais une place bien au chaud au coin du feu de notre esprit. »

Une errance agréable d’autant qu’elle reste courte, et joliment éditée par Les éditions du Chemin de fer qui ont invité Antoine Desailly à y poser ses images, accentuant ces objets trouvés dont on n’a que faire, au même titre que Virginia s’attarde sur ces figures dont on fait habituellement trop peu cas.

« Pendant ces minutes où un fantôme avait été recherché, une dispute apaisée et un crayon acheté, les rues étaient devenues complètement vides. La vie s’était retirée au dernier étage et les lampes étaient allumées. Le trottoir était sec et dur ; la chaussée était d’argent martelé. En marchant dans cette désolation vers la maison, on pouvait se raconter l’histoire de la naine, des aveugles, de la soirée dans l’hôtel particulier de Mayfair, de la dispute chez le papetier. En chacune de ses vies on pouvait pénétrer un peu, assez loin pour se donner l’illusion qu’on n’est pas attachés à un seul esprit mais qu’on peut enfiler pour quelques minutes les corps et les esprits d’autres. »

La forme courte est salutaire car l’écriture de Virginia Woolf n’est pas d’une vivacité à toute épreuve (à mon sens). J’aime les textes posés, les atmosphères qui l’emportent, les textes qui se méritent (coucou Faulkner), mais le méditatif contemplatif me perd un peu. Et c’est finalement aussi l’impression que j’ai eu à la lecture d’Une chambre à soi, recueil de conférences données par l’autrice en 1928 et publié sous forme d’essai un an plus tard. Virginia Woolf y aborde la place des femmes dans la littérature, et bien plus largement dans la société qui en est le miroir. Elle repense l’Histoire sous le rapport femmes / hommes, les évolutions constatées et attendues, pointe les aberrations. C’est édifiant et si le contexte est forcément daté, le propos n’a pas pris une ride et l’on ne peut que souligner la pertinence de cette référence dans les écrits féministes.

« Et je pensais à tous les romans écrits par des femmes et qui se trouvent éparpillés chez les bouquinistes de Londres, comme de petites pommes grêlées dans un jardin. C’est cette fissure en plein coeur qui les a gâtés. Leur auteur femme avait modifié ses valeurs par déférence pour l’opinion des autres.
Mais il eût été impossible à ces femmes de ne pas faire le moindre mouvement vers la droite ou vers la gauche. Quel génie, quelle probité il leur aurait fallu, en présence de toutes les critiques, au milieu de cette société purement patriarcale, pour s’en tenir fortement à leur propre point de vue, à la chose telle qu’elles la voyaient, sans battre en retraite. Seule Jane Austen eut ce génie et cette probité et aussi Emily Brontë. C’est là une nouvelle plume, peut-être la plus belle de leur chapeau. Elles écrivaient comme écrivent les femmes et non comme écrivent les hommes. »

Dans la forme, j’avoue donc avoir baillé à plusieurs reprises, devant, encore une fois, une approche certes limpide mais assez méditative et digressive, et de fait un peu indigeste par moment. L’effet Paris-Brest quoi (oui j’ouvre un débat). Mais j’admets bien volontiers que mon argumentaire manque de corps et d’esprit, aussi je ne peux que vous recommander d’aller lire les chroniques bien plus éclairées de Des livres rances (qui me donnerait presque envie de relire le texte), et de Moka qui a persisté avec succès après un rendez-vous raté il y a quelques années.

Une chambre à soi
Virginia Woolf
1929
171 pages
dispo chez Livre de poche et 10/18

Dans les rues de Londres, une aventure
Virginia Woolf
vu par Antoine Desailly
Le Chemin de fer
2014
51 pages

Retrouvez les autres titres ici ou .
Prochain rdv fin avril pour une plongée dans l’époque victorienne et qui viendra clore la saison 3 du challenge…
Si vous souhaitez en savoir plus, voire même rejoindre (régulièrement ou ponctuellement) l’équipée, c’est par là !

 

 

3 commentaires sur “Dans les rues de Londres + Une chambre à soi – Virginia Woolf”

  1. Je n’ai pas osé me lancer, refroidie par un vieil échec face à Mrs Dalloway, mais j’espère que, le jour où ce sera le cas (parce que toutes ces chroniques m’ont donné envie de retenter), je serai plutôt emportée comme Moka et Des livres rances que déçue comme toi. Car c’est un peu ce que je redoutais, je l’avoue.

    1. Oh je n’ai pas été déçue, mais j’ai trouvé ça un peu longuet quoi… j’y retournerai en tout cas, et on m’a dit qu’effectivement Mrs Dalloway n’était pas simple à apprécier…

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